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PLAIDOYER POUR UNE JUSTICE POUR TOUS AU SENEGAL

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« La méconnaissance et le mépris des droits de l'Homme ont conduit à des actes de
barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité… »
René Cassin* Diplomate, Homme politique (1887 – 1976)

Dans de nombreux pays, le droit à un avocat au moins à un moment donné de la procédure pénale est inscrit depuis longtemps dans la législation ou dans la Constitution, ne serait-ce que pour les infractions les plus graves. Ainsi le règlement 5 de l’UEMOA exige, si la personne interpellée en fait la demande, la présentation la présence d’un avocat. Cette présence était, avant ce règlement, exigible au moment de la garde à vue. Il s’agit là d’une avancée décisive dans la garantie des droits de la défense mais surtout une limite bienvenue aux pressions et autres intimidations voire violences auxquelles étaient soumises les personnes gardées à vue surtout à cette étape de la procédure où elles-sont particulièrement vulnérables. Cependant, le degré de prise de conscience des citoyens vis-à-vis de ce droit et de leurs autres droits civils et la possibilité de les exercer, varie grandement d’un pays à un autre. L’accès à la justice est, comme le montrent de nombreux instruments, essentiel à la protection des droits de l’homme. Faisant de la justice un droit fondamental, la Déclaration universelle des droits de l’homme consacre les principes que sont l’égalité devant la loi, la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable et public par un tribunal indépendant et impartial, auxquels s’ajoutent toutes les garanties nécessaires à la défense de quiconque est accusé d’une infraction pénale. L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques accorde, entre autres garanties minimales, le droit d’être jugé sans délai, le droit à un procès équitable et public par un tribunal compétent, indépendant et impartial institué par la loi et le droit “d’être présent au procès et de se défendre soi-même ou d’avoir l'assistance d'un défenseur de son choix; si l’on n'a pas de défenseur, d’être informé de son droit d'en avoir un, et, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, de se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais” ainsi que le droit “de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec le conseil de son choix”. L’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement dispose qu’un détenu doit pouvoir se faire aider d’un conseil, tandis que l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus recommande de fournir une assistance judiciaire aux détenus en attente de jugement. Dans notre pays, le Sénégal, j’ai le fort sentiment que le gap qui nous sépare de ce droit est encore grand et la pratique quotidienne semble me conforter dans l’idée que nous vivons dans une situation de non-assistance à personne en détresse judiciaire. En effet, nombreux sont nos compatriotes en conflit avec la loi mais non représentés par un avocat, ne serait-ce que commis d’office comme le prévoient les textes, sont encore nombreux, sauf en matière criminelle. Or cette assistance d’office devait pouvoir être offerte dans les autres procédures. Cependant, faute d’une aide juridictionnelle suffisamment dotée à vocation universelle, le gap que notre pays accuse dans la garantie des droits de la défense à l’aune des pratiques et recommandations internationalement admises restera encore longtemps grand. Le cas de ces laissés-pour-compte de notre système judiciaire, m’a poussé à m’interroger sur la question suivante : Comment nos tribunaux peuvent-ils bien traiter les causes des personnes non représentées par un avocat ? Monsieur le Ministre, l’enjeu social qui se dégage à travers cette question est important pour notre pays longtemps cité comme référence en Afrique en matière de respect des droits de l’homme. Parfois du fait de leur situation sociale peu enviable,
jalonnées par la pauvreté et ses corollaires, le manque d’éducation et d’information, certains citoyens partent à l’avance désavantagés et techniquement démunis lorsqu’ils doivent faire face à une procédure judiciaire. L’une des conséquences d’une telle situation est que beaucoup d’entre eux sont oubliés dans les prisons dans l’attente d’un hypothétique jugement. Bien que les causes de ces personnes puissent engorger les tribunaux déjà débordés, il n’en demeure pas moins que ces compatriotes justiciables ont le droit d’être traités
de manière équitable et humaine mais surtout par-dessus tout de faire valoir leurs droits en justice. Trop souvent cependant, ces personnes sont incapables de naviguer dans les méandres du système judiciaire complexe et parfois terrifiant et ne réussissent pas à
faire bien entendre leur cause auprès d’un juge. Monsieur le Ministre, l’heure est grave et il nous faut réagir ! Le Ministère de la Justice doit faire quelque chose et au regard du profil de l’autorité en charge de notre système judiciaire que vous êtes, le respect de ce droit que je qualifie d’élémentaire ne devrait, en principe, pas poser problème. En effet, le droit de bénéficier d’un avocat lorsqu’on est accusé d’une infraction pénale est inhérent au droit à un procès équitable, droit fondamental que reconnaissent la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 14) et les conventions et traités régionaux relatifs aux droits de l’homme que sont la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 6), la Convention américaine relative aux droits de l’homme (article 8) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article 7). Et notre pays a ratifié tous ces textes. Que faisons-nous de toutes ces garanties dans notre pays, de tous ces principes et
de toutes ces règles ? Depuis l’indépendance, les différents régimes qui se sont succédés dans notre pays ont tous veillés à assurer une éducation gratuite, ceux qui est en soit une option empreinte de justice sociale et d’équité.A côté de l’éducation gratuite, nous avons la santé presque gratuite avec la mise en œuvre de la CMU qui reste un bon indicateur d’une gouvernance publique qui se soucie du bien-être social et de la santé de sa population. Dans le même sillage, nous devons aspirer à avoir une justice pour tous à travers un
accès équitable à la justice, autrement dit la justice pour tous et par tous dans un Sénégal pour tous. Nous n’avons plus le droit de parler d’un Sénégal de tous et d’un Sénégal pour tous, formule si chère à notre Président de la République Monsieur Macky SALL, sans un accès total à une justice pour tous. En définitive, il s’agit simplement du respect des droits universels à propos desquels Madame Eleanor Roosevelt, ancienne Présidente de la Commission des droits de l’homme de l’ONU se demandait : « Mais où commencent les droits universels ? » Et de répondre aussitôt « ils commencent dans de petits endroits, près de chez vous, des endroits si petits qu’ils n’apparaitraient dans aucune carte du monde. Si ces droits ne signifient rien dans ces recoins, ils n’auront alors aucun sens nul par ailleurs. Sans un effort concerté des citoyens, de les faire respecter chez eux, nous chercherons en vain le progrès sans jamais l’apercevoir dans un monde encore plus vaste ». L’assistance judiciaire garantie par les règles et normes internationales doit donc être une réalité dans notre pays. Les citoyens sans défenses dans nos cours et tribunaux doivent au moins en bénéficier Voilà le cri du cœur qui justifie mon plaidoyer auprès du Ministre de la Justice que vous êtes, investi de la confiance de Monsieur le Président de la République, Chef
suprême de la Magistrature, et dont le seul but est de vous faire une proposition au regard du pouvoir que vous avez pour faire bouger les choses dans notre système judiciaire. C’est pourquoi, je voudrais vous proposer d’inviter vos experts à réfléchir sur les
possibilités de mis en place au niveau de votre département d’un programme ou projet qui pourra être libellé ainsi : Justice pour tous.Ce projet devra bénéficier d’une dotation budgétaire assez conséquente, au besoin faire appel aux partenaires techniques et financiers dans le cadre d’un appui budgétaire, pour prendre en charge toutes les possibilités de représentation légale qui s’offrent aux personnes suspectées ou accusées d’une infraction pénale. Le but étant placé sur l’offre de services intégrée d’assistance juridique aux accusés pauvres ou indigents, à tous les stades essentiels de la procédure. A l’image des mécanismes de la CMU, cette assistance pourrait être une sorte de «CMU de la Justice ». Cette proposition de format programme ou projet vise l’urgence mais l’objectif devra être de mener à terme des réformes législatives profondes qui garantissent une représentation légale conforme aux règles et normes internationales. Ledit programme ou projet prendra en charge les honoraires des avocats qui seront mis à disposition des justiciables en attendant les réformes en profondeur dans le fonctionnement des tribunaux. In fine, le fait de disposer d’un avocat commis d’office au pénal pour tout justiciable sénégalais, pauvre ou indigent, doit être une obligation légale à tout point de vue. Dans cette perspective, l’adoption d’une loi sur l’aide juridictionnelle à vocation universelle dont je crois savoir qu’un projet existe serait une étape cruciale. Ce dispositif est innovant en ce qu’il diversifie les sources de financement de l’aide permettant une implication financière des partenaires mais également en ce qu’il prévoit la mise en place de bureaux d’aide juridictionnelle au niveau national et au sein de chaque cour d’appel. Monsieur le Ministre, le challenge est là et vous avez une grande opportunité pour marquer l’histoire judiciaire de notre pays. Permettez-moi juste de terminer avec cette belle citation d’Eleanor Roosevelt « Il faut faire les choses qui nous semblent impossibles ».

Pour le Parti Socialiste,
Le Secrétariat national à la Communication
Abdoulaye WILANE
Député-Maire de Kaffrine
Parlementaire CEDEAO

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