Ousmane Diankha, enseignant-chercheur en océanographie à l’Université Iba Der Thiam de Thiès (UIDT), a alerté, mardi, sur la menace que représentent les usines de farine de poisson pour les écosystèmes marins, parmi d’autres fléaux écologiques qui planent sur les océans.
« Les petits pélagiques assurent 73% des besoins en protéines animales de la population sénégalaise’’, a dit M. Diankha, enseignant-chercheur en océanographie, écosystèmes marins et côtiers à l’UIDT.
S’adressant à la presse en marge de la Journée des océans, célébrée pour la première fois par l’UIDT, M. Diankha a déploré le fait que ces poissons juvéniles soient capturés et vendus à des usines implantées sur place et transformés en farine de poisson, ’’pour nourrir des espèces dont la production ne nous suffit pas ».
Cette farine est utilisée dans la nourriture de poissons élevés en aquaculture. « Je ne suis pas contre l’aquaculture, mais il faut qu’elle soit responsable’’, a-t-il précisé.
’’Ces usines contribuent à appauvrir nos mers qui, à ce rythme, n’auront plus de poisson dans dix ans’’, a-t-il averti, sans donner de détails sur les tonnages transformés par ces unités.
Il a relevé le ’’paradoxe’’ de Kayar qui abrite en même temps une aire marine protégée et une usine de farine de poisson.
’’Même si elles [les usines] créent des emplois, ce ne sont pas des emplois durables’’, a-t-il dit, rappelant les quelque 600.000 personnes qui vivent de la pêche. Un chiffre qui, pour lui, atteint en réalité le million.
Se penchant sur le cas spécifique du « thiof » (mérou), une espèce de poisson très prisée dans la préparation du « thiébou dieune » (riz au poisson), un plat national au Sénégal, il a rappelé qu’il met des mois pour atteindre la taille de 45 cm, à partir de laquelle il commence à se reproduire.
Né hermaphrodite, ce poisson subit une « inversion de sexe », dès qu’il atteint cette longueur, les plus forts devenant des mâles et les plus faibles, des femelles, a expliqué le professeur d’océanographie, qui avait travaillé à l’aire marine protégée de Kayar.
‘ »Pourtant, dans nos assiettes, nous préférons le petit +thiof+ », a-t-il déploré. Il indique que les hôtels, « pour des raisons esthétiques », choisissent les spécimens de taille intermédiaire, qui « ne débordent pas du plat ».
« Ce faisant, on est en train de piller cette espèce-là, sans le savoir », a regretté M. Diankha, relevant que la surpêche est un autre mal qui frappe les mers.
L’autre menace potentielle pour les océans, est le pétrole que le pays s’apprête à exploiter. « Partout où il y a du pétrole, cela représente un danger pour la mer : Kayar, Sangomar, Saint-Louis, Casamance », a prévenu le spécialiste.
Il relève que le pays n’a pas les moyens de faire face à une marée noire que même les pays riches ont du mal à maîtriser.
Une marée noire dans le delta du Sine-Saloum, par exemple, tuerait toute la mangrove, réservoir de biodiversité, et entraînerait des déplacements de populations vivant principalement de pêche, et qui vont s’appauvrir.
Les marées noires ne se limitent pas seulement à la mer, elles affectent les oiseaux, a-t-il poursuivi. Ce qui lui fait dire que le pétrole est une menace pour la biodiversité et le secteur économique côtier.
Les micro-déchets plastiques ingérés par les poissons sont consommés par les poissons et s’introduisent dans la chaîne alimentaire pour s’accumuler dans le corps humain, a-t-il alerté.
Sur plus de 300 millions de tonnes de plastiques par an, 8 à 12 millions finissent en mer, ont signalé des étudiants dans leur présentation axée sur le thème « Océans, vie et moyens de subsistance », avec comme sous-thème « Océans : réservoir de biodiversité, producteur d’oxygène et régulateur climatique ».
Selon eux, les cinq océans et la dizaine de mers que compte le globe sont des réservoirs de biodiversité.
Si 250.000 espèces ont été déjà découvertes, il n’en est pas de même pour environ deux millions d’autres espèces qui sont dans les profondeurs marines.
Premiers producteurs d’oxygène du globe, devant l’Amazonie, à hauteur de 50%, les océans voient cette production réduite par la pollution qui tue les phytoplanctons, ces micro-organismes marins qui génèrent ce gaz vital.
En plus de la production d’oxygène, les océans ont des fonctions de régulation du climat et d’atténuation des changements climatiques, a-t-il dit.
Ils ont recommandé au public de s’informer sur le fonctionnement des océans, de lutter contre la surpêche, de limiter l’utilisation des plastiques, d’éviter les produits cosmétiques contenant des microbilles, de participer au nettoyage des plages et de promouvoir le recyclage.
A l’intention des autorités, M. Diankha a souligné l’importance de soutenir la recherche-développement.
L’enseignant-chercheur n’a pas manqué de relever les ’’efforts’’ du gouvernement à travers le Code de la pêche, interdisant la capture des juvéniles et la création d’aires marines protégées.
L’UIDT n’exclut pas de délocaliser à l’avenir cette journée dans d’autres localités, comme Kayar ou Mbour pour une sensibilisation de proximité.