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Tribune du Collectif de 28 Citoyens de Touba

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*LETTRE AU PRÉSIDENT*

La célèbre « Lettre au roi » que Cheikh A. Bamba avait jadis adressée au souverain du Djolof, Samba Laobé, s’inscrit dans une longue tradition de conseil (nasîha) prônée par l’Islam pour orienter et éclairer les actes du Prince. Une tradition qu’ont toujours perpétuée, de façon discrète ou publique, les illustres successeurs de Serigne Touba, dans leur noble mission d’assistance des croyants et des citoyens dans la gestion de la Cité, en fonction du contexte et de leurs personnalités propres.

En 2012, l’opposition sénégalaise s’était résolument engagée dans un combat épique contre la 3e candidature du Président Wade par des manifestations, souvent réprimées avec violence. En dépit de cette forte mobilisation, le Conseil Constitutionnel avait somme toute décidé de valider la candidature de Me Wade. Interpellé sur la grave crise politique se profilant à l’horizon, le Khalife général des mourides d’alors, Cheikh Sidy Moukhtar, par la voix de son porte-parole, s’était prononcé sur la situation en ces termes. Puisque l’institution officiellement habilitée à arbitrer les parties et à dire qui pouvait être candidat ou pas avait tranché, le Khalife invitait les candidats à surseoir aux manifestations violentes et à s’engager dans la compétition électorale.

L’on se souvient que l’actuel Président de la République, Macky Sall, fut le premier homme politique à quitter les manifestations de l’opposition à Dakar pour aller battre campagne à travers le pays. Certains grands ténors de l’opposition avaient laissé passer un certain temps avant d’en faire de même. D’autres choisirent de camper sur leurs positions, en continuant les protestations publiques dans la capitale. La suite, nous le savons. Macky Sall est devenu le quatrième Président de la République du Sénégal démocratiquement élu. Certains analystes n’avaient pas alors hésité à créditer en partie sa victoire à sa décision de se conformer au plus tôt, par conviction ou option stratégique, aux directives du Khalife.

L’on se souvient également, dans cette même veine, qu’en 2016, le Président Macky s’était appuyé sur un avis du Conseil Constitutionnel pour revenir sur son engagement de réduire son mandat en cours de sept à cinq ans. Au motif, selon les 7 Sages, que la durée de ce mandat était « par essence intangible ». Prenant acte de cet avis de la plus haute juridiction, le Président Macky avait annoncé, dans son adresse du 16 février 2016, « J’entends me conformer à la décision du Conseil constitutionnel » pour justifier sa décision controversée.

Aujourd’hui, en 2024, que la même institution (le Conseil Constitutionnel) vient d’avaliser la liste des 20 candidats aux prochaines échéances électorales, cette décision sans appel (que l’on soit en accord ou pas) s’impose et devrait lier tous les candidats et acteurs politiques. Le Président de la République, au premier chef. Ceci, si l’on se réfère, d’une part, à la « jurisprudence du Khalife des mourides » en 2012, qui a contribué, en partie, à l’élection de Macky Sall, et à celle de « l’intangibilité des mandats » de 2016, qui lui a permis d’achever son mandat. Et si nous aspirons, d’autre part, respecter et faire respecter notre constitution, nos institutions et les lois qui régissent notre pays. Lois dont le Président de la République est, en principe, le premier des garants, en tant que responsable de la stabilité politique et sociale du Sénégal.

En foi de ces rappels importants.

Nous, signataires de la présente déclaration, réaffirmons notre opposition de principe à tout report de l’élection présidentielle prévue le 25 février 2024 et à toute forme de prolongation du mandat actuel du Président de la République. Tel que stipulé clairement dans le marbre de la Charte fondamentale qui dispose qu’aucun Président de la République ne peut, de lui-même, par quelque artifice que ce soit, ni réduire ni prolonger son mandat. Dans l’esprit, également, de la recommandation de Serigne Touba dans sa « Lettre au roi » qui rappelle, en un sens, que le principe de la transmission (volontaire ou non) du pouvoir humain est une donnée centrale pour tout dirigeant temporel : « Sache que le pouvoir que tu détiens actuellement en ce monde ne t’est parvenu qu’après avoir été soustrait des mains d’autres rois comme toi qui t’ont précédé. Et qu’un jour viendra où ce même pouvoir te sera repris des mains pour être cédé à d’autres rois qui te succéderont. »

Nous exhortons, par conséquent, le Président de la république à respecter son serment solennel « d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes (ses) forces à défendre les institutions constitutionnelles » (sic).

Nous l’invitons, ce faisant, à la suite d’un grand nombre d’institutions internationales, d’organismes, d’États et de personnalités publiques, au Sénégal et ailleurs à travers le monde, à respecter le calendrier électoral et à laisser le cours normal du processus électoral se poursuivre sans entrave. Et donner ainsi au peuple sénégalais, ultime détenteur de la légitimité et de la légalité, l’opportunité de choisir librement celui ou celle qui doit le diriger au-delà du 2 avril 2024.

Nous demandons à nos Honorables Députés, qui sont censés représenter et défendre nos aspirations, nous le Peuple sénégalais de qui découle, seul, cet « Honneur », d’abroger et de renoncer au projet de loi en cours dont l’inconstitutionnalité flagrante écorne l’image et la noble mission leur étant assignée par la Nation. Au risque, autrement, d’encourir de sérieux futurs revers et d’endosser une responsabilité historique sur l’avenir du pays.

Aux hautes juridictions potentiellement appelées à trancher en dernier recours (le Conseil Constitutionnel et/ou la Cour Suprême), nous en appelons à la prise de responsabilité. En traitant de façon diligente, sincère et équitable tout recours leur étant soumis sur l’inconstitutionnalité du décret et/ou de la loi en question. Au risque d’être à leur tour jugées sans concession par l’Histoire.

Convaincus, en dépit de la gravité de la situation, qu’il subsiste encore un espoir envers les voies de recours légales et d’autres formes de résistance pacifiques face à l’arbitraire, nous appelons le peuple sénégalais à exercer ce devoir de résistance dans la paix et la responsabilité. En évitant, dans la mesure du possible, la destruction inutile des biens publics et la perte de vies humaines. Aux forces de défense et de sécurité de l’encadrer dans l’expression légitime de ce droit, sans violence ni répression injuste. En nous référant tous aux valeurs de non-violence, de paix et de dépassement léguées par Cheikh A. Bamba (et d’autres grandes figures religieuses de ce pays), lui qui a eu à faire face à l’arbitraire politique et à résister pacifiquement devant l’oppression pendant 7 longues années d’exil et près de 33 ans de persécutions.

Nous recommandons enfin, pour sortir de l’impasse politico-institutionnelle actuelle, de faire appel, si le besoin s’en fait éventuellement sentir, à l’implication des leaders religieux qui ont toujours joué un rôle historique de médiation et de stabilisation de l’espace social et politique du pays en temps de crises. Pour ce faire, il conviendra toutefois à nos acteurs politiques de prendre plus au sérieux cette mission des religieux et de ne plus vouloir les cantonner, comme c’est souvent le cas, dans le simple rôle de « faire-valoir » et de cautions morales que l’on n’informe qu’en aval des décisions déjà prises ou que l’on informe mal sur ses réelles visées politiques.

Conformément aux récurrents vœux de l’actuel Khalife général des mourides, Cheikh Mountakha Mbacké (puisse le Seigneur lui prêter une longue vie), nous prions pour que le meilleur candidat pour la nation puisse gagner à travers le vote librement exprimé par les citoyens sénégalais.

PS : Nous avons volontairement choisi de limiter les signataires au chiffre symbolique de 28, qui correspond à la valeur numérique du terme « Touba ». Bien que le nombre de signataires volontaires et potentiels, originaires ou se réclamant de la ville sainte, dépasse de loin ce chiffre. La personnalité et le rôle reconnu aux signataires (leaders religieux, chercheurs, auteurs, intellectuels, acteurs sociaux majeurs, etc.) au sein de la communauté mouride nous a, en effet, semblé assez représentatifs et refléter certaines convictions fortes sur le sujet, très largement partagées à Touba.

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SIGNATAIRES

1. S. Saliou Mbacké Mourtada
(Guide religieux – Acteur de l’enseignement islamique et de l’institution Al Azhar)

2. S. Cheikhouna Mbacké A. Wadoud
(Imam – Chercheur)

3. Imam Cheikh Fatma Mbacké
(Auteur – Ingénieur informaticien)

4. S. Abdoul Aziz Mbacké Majalis
(Auteur – Chercheur sur le Mouridisme)

5. Dr Khadim Moustapha Lo
(Auteur – Imam à la Mosquée Masalikoul Djinan de Dakar)

6. Dr Cheikh Gueye
(Géographe, spécialiste de Touba – Acteur de la société civile)

7. Dr Sam Bousso Abdourahmane
(Inspecteur de l’éducation – Chercheur)

8. Dr Khadim Bamba Diagne
(Économiste – Enseignant chercheur)

9. Dr Mouhamadou Bamba Dramé
(Docteur en Études Islamiques – Forum d’Abu Dhabi pour la Paix – Membre de Rawdu Rayahîn)

10. Cheikh A. Mbacké Niang
(Inspecteur de l’éducation au CCAK, Université de Touba)

11. Sokhna Mané Thiam
(Expert-comptable)

12. Imam Khadim Ndiaye
(Imam aux Parcelles Assainies)

13. Serigne Moustapha Diop Manar
(Acteur de la santé)

14. Serigne Aliou Mbacké
(Écrivain – Chercheur sur le Mouridisme)

15. S. Modou Mbacké Niang
(Chercheur – Traducteur)

16. S. Cheikh Sidy Moukhtar Ka
(Enseignant en sciences religieuses – Conférencier)

17. Dr Mai Mbacké Jamil
(Consultante)

18. Seydina Omar Ba
(Sociologue – Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris)

19. S. Hamidoune Mbacké
(Financier – Chercheur)

20. S. Fallou Kounta Mbacké
(Juriste)

21. S. Fallou Mbacké Rue 10
(Étudiant en sciences politiques et relations internationales HEIP de Paris – SG de Turas)

22. S. Sam Bousso A. Wadoud
(Enseignant – Chercheur sur le Mouridisme)

23. S. Khadim Mbacké Abass
(Conseiller en communication)

24. Seydina Oumar Mbacké Khassim
(Imam – Jurisconsulte en Italie)

25. S. Ibrahima Khalil Mbacké Doj
(Maitre coranique)

26. S. Moustapha Bassirou Diop
(Sociologue – Spécialiste des politiques publiques)

27. Sokhna Maguette Sylla
(Linguiste – Professeur de lettres)

28. S. Ababacar Thiakh
(Historien – Fondation Khadimou Rassoul d’Espagne)

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