Manger à notre faim, manger et boire ce que nous produisons, tels sont nos impossibilités politiques depuis les indépendances.
Ce sont aussi des impossibilités culturelles. Nous ne sommes plus fiers de manger nos plats traditionnels qui, un à un, disparaissent.
La faute à nos élites politiques et à nos cadres qui dans les cocktails dispendieux, les déjeuners à l’européenne, les dîners somptueux, exhibent les bonnes manières et le bon goût importés.
Nous avons aussi perdu les bonnes manières de cuisiner.
Notre ceebu jën penda mbay, maaro liƴƴi, riz au poisson, patrimoine mondial de l’UNESCO, s’est corrompu au rythme de la corruption de notre société.
Notre cèep, maaro, riz, s’est drapé des pires atours que sont l’huile végétale importée désintégrée, la tomate concentrée cramée, les ajouts de cubes compostés d’ingrédients inavouables.
Tous les sénégalais sont malades ou en voie d’être malades.
Les malades chroniques non transmissibles le cancer, le diabète et l’hypertension artérielle se sont installés définitivement de manière durable.
Même dans le bol nous payons notre indiscipline et notre absence de confiance en nos valeurs culinaires, la malédiction de nos turpitudes s’abat sur nous.
Pauvres parmi les pays les plus pauvres, nous mourons des maladies des pays les plus riches!
Le consommer local est comme le monstre du Loch Ness, il n’effleure l’esprit de nos autorités qu’aux moments des grandes détresses puis, il disparaît introuvable.
L’ajustement structurel nous apporta les jus locaux, fabriqués avec nos produits locaux, grâce au travail d’innovation de l’Institut de Technologie alimentaire (ITA).
Il fallut l’épidémie mondiale qui frappa la volaille pour nous imposer d’arrêter l’importation massive de cuisses de poulets aux hormones pour lancer une production endogène de poulets de chair qui est devenue florissante. La filière avicole emploie beaucoup de sénégalaises et de sénégalais.
Périodiquement nous redécouvrons que les sénégalais mangent essentiellement ce que les autres produisent.
Les politiciens suscitent des illusions puis, comme un feu de paille, tout s’estompe.
Cependant l’appauvrissement constant des populations a créé un marché informel nocturne de la restauration à base de produits locaux des très petits budgets dans les quartiers et de plus en plus dans les villages.
Le bol de foonde et le pot de caakri, vendus au coin de la rue, ont remplacé depuis très longtemps le dîner familial.
Pourtant, il ne faut pas être un brillant technocrate pour comprendre que la seule et unique solution est le développement de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’aquaculture, des technologies et des entreprises agro-alimentaires.
Un pays comme le Maroc, qui a un climat moins favorable, des ressources en eau douce moins disponibles, a su résoudre le problème d’une production d’agrumes et horticole de qualité, diversifiée et abondante.
D’ailleurs cette production est un des support du tourisme florissant marocain.
Il suffit de comparer les buffets abondants et apétissants des hôtels marocains faits de produits locaux aux buffets chétifs et radins de nos hôtels qui, même en période de mangues succulentes et abondantes, ont le complexe de les proposer à leurs clients.
Notre pays doit oser changer.
Le Président de la République a les mots.
Cependant, il faut surtout les actes de rupture, de courage, de sincérité et de détermination.
Il faut éradiquer les énormes intérêts qui se nourrissent sur toute la chaîne des importations des produits alimentaires.
Prendre des mesures hardies qui découragent les importations et qui encouragent fortement la production locale.
Soutenir la recherche et la production de semences de qualité. Rendre l’eau disponible. Promouvoir la production de fourrage. Créer des centres de formation agricole et horticole dans chaque département du Sénégal. Assurer la motorisation et la disponibilité des équipements agricoles. Résoudre le problème de la course à l’accaparement des terres, etc. Résoudre le problème du marché des produits agricoles. Etc.
En fait, il faut une révolution agricole.
La révolution agricole passe par la révolution des mentalités de nos autorités qui doit diffuser jusqu’à la citoyenne et au citoyen.
La crise Russie-Ukraine est un fait. Elle passsera!
Lorsque la majorité de la population d’un pays n’a pour principal objectif que la quête journalière de la nourriture, le pays a perdu ses espoirs de transformation pour emprunter les chemins du développement.
Notre souveraineté alimentaire est un impératif vital qui transcende les crises, elle est constitutive de notre fierté nationale et de notre dignité internationale.
Dakar, mardi 27 septembre 2022
Mary Teuw Niane