Les pieuvres de la République
Depuis 20 ans à 30 ans, ce sont toujours les mêmes qui défilent au palais à l’occasion du 1er mai, fête du Travail. En plus de la longévité, ces patrons des organisations syndicales et patronales sont de vrais cumulards qui captent les ressources au détriment des jeunes.
Le taux de chômage au Sénégal qui se situe à 17% environ touche majoritairement les jeunes dont les moins de 20 ans représentent 55% de la population. Pendant ce temps, des vieux de plus de 60 ans battent des records de longévité et deviennent champions dans le cumul de postes. Dans le patronat comme dans le syndicat, ce sont les mêmes têtes qui occupent la scène depuis 20 ans pour certains, 30 ans pour d’autres, au détriment des jeunes.
Le personnage le plus emblématique reste Mamadou Racine Sy. Réputé puissant, l’homme d’affaires et acteur politique est omniprésent dans la sphère publique et privée. PDG du King Fahd Palace, il est aussi le président du Conseil d’administration (Pca) de l’Ipres. Ici, Racine Sy gagne 2 millions par mois, car les jetons de présence sont passés en 2015 de 150 000 f à 300 000 F pour les membres du conseil d’administration et les indemnités du Pca de 1 à 2 millions.
Au même moment, Racine Sy est vice-président du CA de la Caisse de sécurité sociale. Et dès que son mandat termine à l’Ipres, il devient Pca de la Caisse de sécurité sociale (Css) dans un jeu de chaises musicales avec Mody Guiro et Mademba Sock. Racine Sy est également le Pca de Bolloré Sénégal.
Dans le secteur de l’hôtellerie, il est alpha et oméga. Patron d’hôtel, Président de la Fédération des organisations hôtelières du Sénégal, il devient Pca de l’Agence de promotion touristique du Sénégal. Fort de sa puissance dans ce secteur, Mamadou Racine Sy est officiellement installé comme président du Conseil sénégalais du tourisme le 7 septembre 2019 par le ministre Alioune Sarr.
Sur le plan politique, si le hold-up contre Aïssata Tall Sall avait marché en 2014, il serait aujourd’hui le maire de Podor.
La CSS achète des billets d’avion à la société de Racine Sy
Avec autant de postes, le conflit d’intérêts n’est jamais loin. Dans son rapport 2013, la Cour des comptes mentionne des pratiques qui relèvent du flagrant délit. « La Cour a relevé que la CSS (Caisse de sécurité sociale : Ndlr) a effectué en 2010 et 2011 plusieurs achats de billets d’avion à l’agence SENEGAL TOURS faisant partie du groupe Sénégal HOTELS dont M. Mamadou Racine Sy, PCA de la CSS, était aussi le Président Directeur général. En 2011, ces achats ont atteint le montant de 74 783 641 FCFA », souligne la Cour qui soulève le caractère illégal de ce procédé.
Malgré ces cumuls et manquements, il n’a jamais été inquiété. Au contraire, c’est lui qui s’est payé la tête de Mamadou Diagne Sy Mbengue, ancien DG de l’Ipres muté à la SN Hlm, suite à un différend avec Racine.
Autre visage du cumul et de l’immobilisme, Baïdy Agne, président du Conseil national du Patronat (Cnp) depuis presque 20 ans. En tant que patron d’entreprise dans le secteur portuaire, il est le président du Syndicat des Entreprises de Manutention des Ports du Sénégal (SEMPOS). Il est aussi le premier vice-président du Conseil économique, social et environnemental où il gagne 1 500 000 F Cfa par mois. Dans le domaine du Sport, Baïdy Agne est le vice-président du Cnoss et président de la fédération sénégalaise de golf.
Même s’il cumule moins de fonctions, Mbagnick Diop n’en demeure pas moins un digne membre de cette classe d’hommes d’affaires pour avoir occupé la tête du Mdes depuis sa création en avril 2000. Lui aussi est membre du Cese.
Une longévité de plus en plus décriée, parce que considérée comme source d’immobilisme. En dehors de Serigne Mboup et Moustapha Cissé Lô, on voit aussi les jeunes dans la contestation. En 2016, de jeunes opérateurs privés réunis autour de la Convergence des acteurs du privé (Cap) ont fait une sortie médiatique pour dénoncer « une logique de rente ». « Cette fonction de représentation est devenue une fin en soi, un moyen de survie et d’existence», fulminaient Modou Bousso Dieng Thiane et Cie.
Mademba ignore le décret présidentiel
Si ces patrons peuvent se targuer d’avoir une entreprise, certains leaders des travailleurs ont transformé les centrales en entreprise. Ici, les secrétaires généraux ont duré, au point d’être qualifiés de ‘’fonctionnaires du privé ». Mody Guiro et Cheikh Diop ont déjà fait respectivement 20 ans à la tête de la Cnts et de la Cnts/Fc.
Quant à Mademba Sock, il n’a pas d’égal. Depuis la création de l’Unsas en 1990, soit 31 ans, il est resté le seul secrétaire général. « Nous avons posé ce débat sur la limitation des mandats depuis longtemps, mais à l’Unsas, on nous disait : ça c’est pour vous les enseignants du supérieur », sourit un ancien SG du Saes.
Aujourd’hui à la retraite, non seulement ils s’accrochent au poste, mais ils sont aussi des cumulards, Guiro et Sock en particulier. A l’heure actuelle, Mademba Sock est le Pca de l’Agence sénégalaise des énergies renouvelables (Aser). En 2012, le président Macky Sall a sorti un décret pour fixer les salaires des directeurs et Pca des différentes agences. Le DG de l’Aser a voulu se conformer à la nouvelle réglementation, mais Sock a dit niet.
« Par correspondance en date du 24 juin 2014 adressée au Directeur général de l’ASER, en réaction à la note de direction (…) fixant son salaire à 2 000 000 F CFA conformément au décret n°2012-1314 en lieu et place des 4 000 000 F CFA qu’il percevait avant, il (Mademba) a indiqué que « la loi d’orientation 2009-20 du 04 mai ne lui est pas applicable», révèle le rapport 2016 de la Cour des comptes.
Autrement, il n’est pas question pour lui d’accepter la réduction de son salaire. Dans ce bras de fer, le ministère des Finances a donné raison à Mademba Sock qui pouvait continuer à percevoir 4 millions par mois, « en attendant la mise en conformité des textes de l’ASER ».
Guiro augmente ses indemnités avec effet rétroactif
Aujourd’hui encore Mademba Sock perçoit, au pire des cas 2 millions F Cfa comme Pca de l’Aser. En tant que Pca de la Caisse de sécurité sociale, il perçoit également une indemnité qui avoisine les 2 millions. Sans compter ses indemnités de conseiller économique social et environnemental où un membre simple gagne 1 200 000 contre 1 500 000 pour un membre du bureau. Au total, Mademba Sock récolte 5 à 7 millions, avec ces 3 institutions du pays.
Son alter ego Mody Guiro est presque dans le même scénario. Membre du Conseil économique, il en est le deuxième vice-président, avec 1 500 000 par mois. Guiro sera le prochain Pca de l’Ipres à la fin du mandat de Racine Sy, si jamais la tradition est respectée. Rien qu’avec ces deux postes, il se retrouvera avec plus de 3 millions, compte non tenu de représentations internationales telles que la Confédération syndicale internationale (Csi) et le Bureau international du travail (Bit).
En août 2010, alors Pca de l’Ipres, il a porté ses indemnités de 600 000 FCFA à 1000 000 FCFA « avec effet rétroactif jusqu’en janvier 2009 », sous prétexte qu’il faut harmoniser avec le traitement des administrateurs à la Caisse de sécurité sociale (Rapport 2014 cour des comptes).
600 millions de subvention
La syndicaliste Marième Sakho Dansokho ne voit pas de problème dans la longévité au poste, « si ce sont les travailleurs qui le désirent ». N’empêche, elle reste convaincue qu’il faut préparer la relève. Quant au cumul de postes, elle plaide pour la décentralisation. « Je pense qu’on devrait avoir différents représentants dans les différents postes ».
Pourtant, ces montants ne sont rien comparés à la somme que les patrons de centrales peuvent gérer. En effet, depuis 2015, l’Etat a décidé d’accorder une subvention annuelle de 600 millions aux centrales. En 2015, l’enveloppe a été de 300 millions. La Cnts de Mody Guiro a reçu 115 millions, l’Unsas de Mademba Sock 78 millions, la Csa (seule centrale qui a opéré un changement) a eu 60 millions et la Cnts/Fc de Cheikh Diop 46 millions.
Or, cet argent ne tient pas compte d’une autre subvention du 1er mai de 50 millions accordée chaque année depuis 2013. Résultat des courses, les centrales syndicales comptent zéro manifestation dans leur compteur depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir.
Avec autant de liquidité, on comprend aisément pourquoi les papis refusent de céder la place, au grand dam des jeunes qui cherchent partout la queue du diable.
Source: seneweb.com