Par : Thierno Seydou Niane, économiste,ancien DG de la CDC et ancien coordonnateur de l’UCSPE au MEF
Dans une précédente analyse de l’économie sénégalaise entre 2012 et 2023, plusieurs éléments préoccupants ont été mis en évidence, soulignant l’urgence d’une action corrective pour redresser la trajectoire économique du pays.
Tout d’abord, le bilan infrastructurel reste incontestable, avec des avancées notables en matière de développement des infrastructures. Toutefois, le cadre macroéconomique demeure déséquilibré, marqué par un déficit budgétaire important qui fragilise les finances publiques. Par ailleurs, la masse salariale connaît une augmentation continue, rendant le poids des dépenses publiques de plus en plus difficile à soutenir. Enfin, l’endettement atteint un niveau préoccupant, avec un service de la dette qui pèse lourdement sur les recettes fiscales, réduisant ainsi considérablement la marge de manœuvre budgétaire de l’État.
Le rapport de la Cour des Comptes met en exergue une situation alarmante en indiquant un déficit budgétaire d’environ 12 %, bien supérieur aux 4,9 % initialement annoncés. Il révèle également que le ratio dette/PIB avoisine désormais 100 %, alors qu’il était auparavant estimé à 74 %. Face à cette détérioration, le Sénégal s’expose à un risque accru de surendettement. Non seulement la dette a considérablement augmenté, mais elle est devenue plus coûteuse et plus risquée. Cette dégradation s’accompagne d’une baisse de la notation souveraine du pays, ce qui entraîne une hausse des taux d’intérêt sur les nouveaux emprunts et limite les possibilités de financement à moindre coût.
Un Ajustement Budgétaire Urgent et Indispensable
La nécessité d’un ajustement budgétaire devient incontournable pour ramener la dette et le déficit à des niveaux soutenables, tout en reconstituant une marge de manœuvre budgétaire permettant de financer les projets de développement. L’analyse des finances publiques met en lumière plusieurs problématiques majeures, notamment la gestion du déficit budgétaire, le poids croissant de la dette, l’efficacité relative des dépenses publiques et la faible mobilisation des recettes fiscales.
L’aggravation du déficit budgétaire a contribué directement à l’augmentation de l’encours de la dette. En 2023, le déficit était estimé à 12,3 % du PIB, soit environ 2 291 milliards FCFA, et à 11,6 % du PIB en 2024, soit 2 362,2 milliards FCFA. Une réduction est toutefois projetée pour 2025, avec un déficit attendu de 7,08 %, soit environ 1 600,4 milliards FCFA. Cette détérioration s’explique par les orientations budgétaires contenues dans la loi de finances rectificative (LFR) et la loi de finances initiale (LFI), qui semblent en décalage avec l’urgence d’un redressement de l’économie et des finances publiques.
En effet, paradoxalement, on observe en 2024 une hausse des dépenses de fonctionnement de plus de 680 milliards FCFA, malgré une baisse des recettes estimée à 840 milliards FCFA. Le budget 2025 s’inscrit dans une tendance similaire, avec une légère hausse des ressources de seulement 100 milliards FCFA, contre une augmentation des dépenses de l’ordre de 859 milliards FCFA. Dans un contexte de marge budgétaire quasi inexistante, il est donc impératif de mettre en place un plan de retour à l’équilibre budgétaire à court terme, fondé sur une gestion rigoureuse des dépenses tout en préservant les investissements stratégiques.
Le gouvernement s’est fixé pour objectif de ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB d’ici 2027, conformément au critère de convergence de l’UEMOA. Cependant, cette ambition suppose une réduction de plus de 8 points du ratio déficit/PIB par rapport à son niveau de 2024, et, bien que nécessaire, elle paraît difficilement atteignable sans une révision immédiate du budget 2025 à travers une loi de finances rectificative, qui devra acter une rationalisation substantielle des dépenses publiques. Une trajectoire plus réaliste consisterait à réduire progressivement le déficit, en le ramenant à 6,5 % en 2025, puis à 4,5 % en 2026, pour atteindre 3 % en 2027, tout en veillant à concilier cet ajustement avec les impératifs de relance économique.
Une Dette Encore Lourde, mais des Ajustements Nécessaires
La soutenabilité de la dette publique constitue un enjeu fondamental pour préserver une marge de manœuvre budgétaire et garantir le financement des priorités de développement. Aujourd’hui, la dette totale du Sénégal est estimée, selon la Cour des comptes, à près de 18 000 milliards FCFA, ce qui correspond à un ratio dette/PIB de 99,7%, bien au-delà de la norme fixée par l’UEMOA, établie à 70%. Pour l’année 2024, la dette devrait atteindre 4 500 milliards FCFA, aggravant encore davantage la situation. Le ratio dette/PIB a ainsi progressé de près de six points en une seule année, pour s’établir à 105,7%.
Les projections pour 2025 confirment cette tendance inquiétante, avec un montant de dette prévisionnel estimé à 4 573,9 milliards FCFA, incluant à la fois le service de la dette et le financement du déficit budgétaire. Ce montant représente l’équivalent de la totalité des ressources attendues, ce qui illustre l’importance des ajustements à opérer.
Le service de la dette connaît également une hausse spectaculaire. Il est passé de 343,2 milliards FCFA en 2012 à 1 693 milliards FCFA en 2023, représentant alors 48,7 % des recettes fiscales, contre seulement 24,7 % en 2012. En 2024 et 2025, cette charge devrait représenter respectivement 52% et 67,1% des recettes fiscales, absorbant ainsi plus de la moitié des ressources fiscales disponibles. Une telle situation est clairement insoutenable sur le long terme et met en péril la stabilité des finances publiques.
Face à cette dynamique préoccupante, il devient impératif d’engager la dette dans une trajectoire décroissante. Pour y parvenir, une des pistes à explorer consisterait à rééchelonner et à reprofiler une partie de la dette arrivant à échéance immédiate ou à très court terme. Il serait également judicieux de privilégier des financements intérieurs, notamment ceux du marché régional de l’UEMOA, ainsi que des emprunts internationaux à des taux d’intérêt plus favorables. Cette approche permettrait de réduire la dépendance aux financements à haut risque et de mieux maîtriser les effets des fluctuations monétaires sur la dette publique.
Dépenses Publiques : Réduction et Optimisation
En 2023, les dépenses courantes ont représenté 17,8 % du PIB, contre 16,16% en 2022 et une moyenne de 15 % sur la période 2012-2021. Les prévisions pour 2024 et 2025 tablent sur des niveaux encore plus élevés, atteignant respectivement 20,3 % et 19,24%, soit une moyenne de 19,77 %, un seuil particulièrement préoccupant dans un contexte de grande fragilité budgétaire. Cette progression des dépenses courantes, hors service de la dette, s’explique principalement par l’augmentation de la masse salariale et des subventions.
L’accroissement de la masse salariale est largement dû à la hausse significative du nombre d’agents publics, passé de 165 000 à 183 693. Le ratio masse salariale/recettes fiscales a ainsi grimpé de 32,2 % en 2017 à 35,15 % en 2022, puis à 35,42 % en 2023, dépassant le seuil de soutenabilité fixé par l’UEMOA (inférieur ou égal à 35 %). En 2024, ce ratio atteindrait 39,8 %, un niveau qui interpelle sur la soutenabilité à moyen terme. Face à cette situation, il devient impératif de stabiliser la masse salariale : d’abord, il conviendrait d’exclure toute politique de baisse de salaire qui apparaît comme contre-productive dans la situation actuelle ; ensuite, il faut rationaliser le quantum de recrutement, qui pourrait être basé sur les nombres de sorties et les résultats d’un audit biométrique visant à identifier les agents fictifs ; enfin, la rationalisation pourrait être opérée par la mise en œuvre d’un programme de départs volontaires.
S’agissant des subventions, une suppression totale apparaît peu réaliste et ne devrait pas être envisagée. Toutefois, leur efficacité peut être renforcée par une politique de ciblage plus rigoureuse, visant à soutenir prioritairement les ménages les plus vulnérables, tout en assurant la soutenabilité des finances publiques. Une telle stabilisation suppose parallèlement une réduction des dépenses d’investissement non prioritaires et une rationalisation accrue des dépenses courantes.
Cette nécessaire restructuration budgétaire devra néanmoins s’opérer avec prudence, en respectant deux principes fondamentaux : d’une part, la protection des dépenses sociales essentielles, notamment celles consacrées à l’accès à l’eau, à l’électricité, à l’alimentation, à l’éducation et à la santé ; d’autre part, la préservation des investissements stratégiques, qui demeurent indispensables pour soutenir une croissance durable.
Mobilisation des Recettes : Une Stratégie Plus Ambitieuse
Dans un contexte marqué par un déficit budgétaire persistant, il apparaît indispensable d’améliorer la mobilisation des ressources domestiques, tout en veillant à préserver la dynamique économique. En 2024, les recettes fiscales sont estimées à 3 620 milliards FCFA, avec une forte progression attendue en 2025, pour atteindre 4 359,6 milliards FCFA, soit une croissance de 20,4 %. Toutefois, cette hausse des recettes ne doit pas reposer uniquement sur un relèvement des impôts, au risque de freiner l’investissement privé et de peser sur la consommation des ménages.
Trois principaux défis doivent être relevés : d’une part, une pression fiscale excessive pourrait décourager l’investissement et affaiblir la demande intérieure ; d’autre part, une part importante de l’économie reste informelle, ce qui limite considérablement la capacité de l’État à collecter les recettes fiscales de manière optimale ; enfin, les réformes fiscales envisagées peuvent prendre plus de temps pour une matérialisation effective.
Pour faire face à ces enjeux, plusieurs pistes de réforme peuvent être envisagées. En premier lieu, il est essentiel d’élargir l’assiette fiscale plutôt que d’augmenter les taux d’imposition. Cela implique une digitalisation renforcée de l’administration fiscale, une meilleure traçabilité des transactions économiques, ainsi qu’une lutte plus rigoureuse contre l’évasion et la fraude fiscales. En parallèle, la mise en place de dispositifs incitatifs pour les entreprises, à travers une fiscalité plus compétitive, permettrait de stimuler l’investissement productif. Enfin, une rationalisation de la structure des recettes fiscales, afin d’en améliorer la qualité et la prévisibilité, ainsi qu’une réduction significative des exonérations fiscales, contribueraient à renforcer la soutenabilité des finances publiques tout en soutenant la croissance économique.
Conclusion
Le contexte actuel est difficile. En dépit des efforts réalisés par le gouvernement, l’économie sénégalaise traverse une phase critique nécessitant une réorientation urgente des politiques budgétaires et financières. La mise en place d’un programme économique et financier (PREF), d’une durée de deux ans (2025-2027), visant un ajustement budgétaire pragmatique, une meilleure gestion de la dette et une réforme fiscale ambitieuse, est indispensable pour rétablir une trajectoire économique plus saine et plus résiliente.