Les évolutions récentes au niveau du transfert d’argent ,via le mobile , avec notamment cette guerre des prix entre opérateur et les bouleversements que cela pas peut entrainer, mérite des éclairages. Challenges économiques a donné la parole à Habib Ndao, le Secrétaire Exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF). L’ancien Directeur Régional de Money Gram West and Central Africa apporte des réponses aux différentes questions qui secouent le secteur en ce moment. Entretien.
Comment se porte le secteur du transfert d’argent via mobile?
Le marché du transfert d’argent au Sénégal est un secteur à fort potentiel, ayant connu une évolution fulgurante au cours de cette dernière décennie, tant au niveau de l’importance des sommes transférées, du nombre d’acteurs impliqués, de la nature des transferts, de l’impact socio-économique sur les bénéficiaires, qu’à celui des mécanismes utilisés.
Les transferts de fonds privés sont devenus un enjeu déterminant dans l’économie dans la mesure où ils représentent une part significative des ressources du pays et contribuent à environ 9% du PIB. En parallèle, la mutation technologique, qui constitue le fondement des opérations et des systèmes de paiement numérique, a contribué à une explosion des transferts en volume surtout au niveau des transferts domestiques.
Les nombreux avantages que conférèrent ces transferts sont la sécurité, l’accessibilité et la rapidité des opérations effectuées. Il en va de même d’une meilleure gestion des coûts opérationnels et de la simplification de la logistique et de la procédure de traitement.
Après la guerre des communiqués, deux des plus grands opérateurs de transfert d’argent via le mobile se mènent une bataille féroce au niveau des tarifs, comment analysez-vous ce conflit?
Ce conflit est né de la politique commerciale de Wave qui, grâce à une flexibilité tant au niveau de l’accompagnement des prestataires que des profits sharing system (partage des commissions) a conduit à la révision en baisse des tarifs de son concurrent OMFS pour réduire l’hémorragie de son portefeuille.
Il est important de rappeler que les conditions tarifaires sont libres en matière de services financiers bien entendu sous le strict respect d’un certain nombre de règles édictées par les dispositions réglementaires (transparence, qualité, sécurité) et les clauses contractuelles entre prestataires et opérateurs.
Ce qu’il faut noter c’est que le paysage concurrentiel est passé du simple au double ces deux dernières années avec les opérateurs de transfert d’argent, les fintechs, les microfinances et les banques. Il faudrait donc davantage renforcer les conditions de contrôle dans les services financiers numériques pour veiller à une concurrence saine, condition sine qua none de survie des acteurs et essentiellement des prestataires.
Comment doit – on fixer la tarification, est-ce un exercice libre, laissé à l’appréciation de l’opérateur?
En matière de tarification sur les services financiers numériques, les conditions sont certes libres mais il est important pour l’opérateur de prendre en compte deux aspects essentiels : la soutenabilité et l’adaptabilité du service financier offert.
Un autre élément fondamental qui pourrait constituer une clé d’arbitrage pour la fixation de tarifs soutenables, c’est la politique de diversification des produits et services numériques à travers d’autres leviers tels que le nano crédit, la micro-épargne, la microassurance.
Les taux extrêmement bas pratiqués par certains opérateurs ne participent –ils pas à fausser le jeu de la concurrence?
A mon avis, par cette pratique, Wave vise le long terme par une fidélisation progressive des membres de son réseau, en revanche OMFS a réagi avec une baisse drastique des tarifs dans l’optique de sauver son statut de major, pour ne pas dire de leader actuel. Le marché sénégalais est passé par une grande phase de mutualisation du réseau de distribution entre les acteurs ces dernières années. Aujourd’hui, les acteurs font face aux défis de la mise en place de leur propre réseau et de la forte concurrence.
La transparence dans les services financiers revêt une importance capitale pour l’Observatoire car elle pourrait contribuer au renforcement de la solidité, de la sécurité et de l’inclusion financière dans le système.
Par exemple, les OTM conservent des avantages structurels de taille pour leurs offres « mobile money », notamment le pouvoir sur les tarifs de l’accès aux codes USSD par les opérateurs non téléphoniques et le contrôle de l’accès à l’internet via les mobiles.
Pour assurer un jeu de la concurrence libre et parfaite, il faudra d’une part, veiller à l’arrêt des dumpings qui peuvent désarticuler le marché, et d’autre part, envisager un audit des pratiques commerciales et de la fiabilité du modèle économique des différents acteurs du marché du Mobile Money.
Enfin, les produits financiers numériques de deuxième génération demandent une collaboration accrue entre les institutions financières classiques qui possèdent la licence pour offrir ces services et les Emetteurs de Monnaie Electronique et Fintech qui ont une avance technologique pour la fourniture de services de proximité. Ces types de partenariats sont laborieux à mettre en place mais constituent un levier incontournable pour accélérer l’inclusion financière des couches vulnérables non bancarisées.
Dans cette confrontation, les prestataires ont décidé unilatéralement d’une augmentation des tarifs appliqués faisant fi des clauses contractuelles avec l’opérateur, parce que soutiennent-ils, leurs gains sont devenus pratiquement nuls. Quelles sont les mesures qui seront prises pour éviter aux clients des désagréments
Effectivement, il a été porté à la connaissance de l’OQSF de complaintes du Cadre Permanent de Concertation des Prestataires du Transfert d’Argent regroupant notamment le Réseau national des prestataires du transfert d’argent (RENAPTA) et l’Association Sénégalaise des Acteurs du Transfert d’Argent (ASATA), à la suite de la publication unilatérale des nouveaux barèmes des frais de services pour les opérations de monnaie électronique.
Face à cette situation qui selon eux risque de compromettre la viabilité de leurs activités (baisse drastique des commissions et du chiffre d’affaires avec un manque à gagner de 225.000 FCFA le mois, disparition de plusieurs services qui sont sources de revenus tels que le paiement de factures, menace de pertes d’emplois, risque de fermeture de points de services), ces intermédiaires envisageraient de facturer les opérations de dépôts et retraits effectuées directement dans leurs points de service respectifs. Ce qui pourrait constituer un surcoût financier pour les usagers finaux qui amoindrissent légèrement la baisse des tarifs de l’opérateur OMFS.
En raison des enjeux que revêt l’utilisation des services financiers à distance dans notre écosystème (facteur d’inclusion financière, masse de liquidité en circulation, emplois etc.), l’OQSF, conformément à sa mission de veille et de suivi de la conduite du marché, avait convié les opérateurs susmentionnés, les prestataires du transfert d’argent et les associations de consommateurs, à une réunion d’harmonisation qui avait pour objectifs d’écouter les usagers et les prestataires de transferts d’argent pour une remontée de leurs préoccupations à la tutelle et aux autorités monétaires en vue de favoriser une aide à la prise de décisions.
Aussi, cette réunion avait pour objectif de trouver une solution de médiation et d’apaisement de la relation d’affaires entre les opérateurs d’une part et d’autre part entre ceux-ci et les prestataires pour éviter une fragilisation du système de transfert domestique d’argent.
Au titre des pistes de solutions à étudier, l’Observatoire recommande à l’Etat de renforcer le contrôle sur la distribution des services de transfert d’argent (ouverture et déplafonnement des comptes, conditions d’exploitation des points de service, etc.). Aussi, il est nécessaire de veiller à une harmonisation des contrats entre les opérateurs et les prestataires.
Aux opérateurs de transfert, l’Observatoire recommande d’inciter davantage les prestataires à travers des actions commerciales de bonus ou de fidélisation, de renforcer la sécurité des plateformes notamment l’application client, de raccourcir les délais de correction des erreurs de dépôt ou de transfert, de veiller à la transmission systématique, à l’autorité, des contrats signés avec les prestataires ;
Les nouvelles politiques commerciales de ces opérateurs de baisses de tarifs ne risque-t-il pas de porter une atteinte grave au processus d’inclusion financière qui est bien enclenchée, avec la perte de confiance des usagers
Elles sont certes favorables à l’usager final du service ; une aubaine donc pour les consommateurs, mais la question est de savoir pour combien de temps ?
L’autre menace sur les prestataires c’est l’extinction de leurs activités avec son lot de chômage faute de rentabilité, d’où la nécessité pour les prestataires de diversifier leur source de revenus aidés en cela par les opérateurs
En ce qui concerne la menace sur la promotion de l’inclusion financière, je rappelle que le Sénégal fait partie des quatre meilleurs élèves de l’Union et aujourd’hui nous avons même dépassé le cap de 70% pour le taux global d’utilisation des services financiers. Nous sommes donc sur la bonne trajectoire.
S’agissant des tarifs, l’Observatoire en tant que protecteur des usagers des services financiers, et promoteur de la confiance des populations vis-à-vis du système financier, ne peut que saluer cette mesure tendancielle à la baisse qui concourt à un renforcement du pouvoir d’achat monétaire des usagers mais également à un meilleur accès aux services financiers.
C’est plutôt le niveau de tarification adossé aux services financiers numériques qui poserait problème. Il faudra consentir encore des efforts à ce niveau. En effet, une récente enquête réalisée par l’Observatoire de la Qualité des Services Financiers (OQSF) révèle qu’une proportion de 41,9% des enquêtés effectuant des retraits de fonds jugent excessive la tarification adossée à ces opérations. Le même avis est partagé par 39,3% des utilisateurs pour les opérations liées à l’envoi ou au transfert sur un autre compte.
Le projet d’interopérabilité en cours de déploiement par le GIM-UEMOA pourrait permettre d’optimiser sur le modèle économique des transactions qui passeront par la plateforme intégrée et réduire les coûts sur le transfert d’argent P2P.
Est-ce qu’il ne faudrait pas mettre des garde fous avec un encadrement plus rigoureux du secteur?
Tout à fait, l’OQSF a toujours plaidé pour un développement inclusif des services de finance mobile à travers le renforcement du contrôle, de la supervision ainsi que par l’amélioration de la qualité de service, notamment en termes de sécurité et de tarification.
Pour plus de qualité dans la branche, il y a le besoin de renforcement de la concurrence et donc de la transparence. En effet, la position dominante d’un nombre limité de prestataires de services n’est pas sans induire, ou tout au moins favoriser une tarification élevée, contraire à l’objectif d’accès à des prestations à moindre coût prôné par les pouvoirs publics.
Ainsi, le renforcement de la transparence des tarifs des services financiers, via la téléphonie mobile, pourrait tirer profit d’une mise à disposition, au profit des usagers, d’un comparatif des coûts affiché afin de réduire au mieux l’asymétrie de l’information.
Certes, le secteur est en pleine croissance mais certaines positions dominantes sont perçues par les acteurs comme étant des blocages au jeu sain de la concurrence. Cette situation demande un regard particulier des organes de régulation pour permettre à tous les types d’acteurs d’être soumis aux mêmes règles de compétition.
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