Le constat est amer pour les intervenants du panel consacré, ce samedi, 15 mai 2021, à l’engagement politique et citoyen d’Amadou Mahtar Mbow, dans le cadre de la célébration du centenaire de l’ex-directeur général de l’UNESCO pendant treize ans, et plusieurs fois ministre dans son pays d’origine. Ayant pour la plupart participé aux travaux des assises nationales et de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI), ils gardent un goût d’inachevé.
Parmi eux, il y a Pr Abdoulaye Bathily, ex-candidat à l’élection présidentielle et ex-membre du front ’’Siggil Senegal’’. Qui « après la mascarade électorale des Législatives de 2007, avaient décidé de sortir des ghettos des partis politiques et d’aller vers un rassemblement plus large pour s’opposer à la confiscation du pouvoir par Abdoulaye Wade et d’ouvrir des perspectives nouvelles pour le pays. Nous avons fait un avant-projet qu’on a discuté au sein du front, ensuite qu’on a distribué à la société civile, à des personnalités », rembobine-t-il.
Poursuivant, il encense Amadou Mahtar Mbow, soutenant qu’il a œuvré que ce dernier dirige les Assises nationales. Car convaincu « par sa droiture moral, son expérience, sa connaissance de la société sénégalaise. Il avait des réticences tout à fait légitimes mais finalement grâce à son engagement politique, patriotique, il a fini par accepter. »
VERS DES ÉLECTIONS DE CONTENTIEUX
« C’est avec beaucoup d’émotion que je me rappelle cet élan généreux qui a motivé tout le monde. Parce que de ce noyau initial, les assises nationales, et après ce que c’est devenu grâce à cette méthode de Mbow, participative, consultative, délibérative. Il y avait un esprit Assises nationales qui était né, et qui a insufflé pratiquement toutes les dynamiques politiques et sociales jusque dans les coins les plus reculés, au-delà des partis politiques. J’ai fait près de 60 ans de vie politique dans ce pays, mais je n’ai jamais vu un processus comme ça. Aucun parti, aucune organisation, n’en a produit de semblable. On parle d’émergence, de ceci, de cela, de beaucoup de programmes,… Je relis toujours le document des Assises dans ma bibliothèque. Fondamentalement, il y a un déni. On a même dit que les Assises, ce n’est ni la Bible ni le Coran… Mais avec les événements de mars dernier, on peut dire qu’on est revenu à la case départ, ou même avant la case départ », a-t-il dit, taclant le chef de l’Etat, Macky Sall.
D’ailleurs, pour lui, « on va vers l’inconnu, vers le chaos, si on n’engage pas le processus qui a conduit aux Assises nationales. » Il en veut pour preuve : « Aujourd’hui, toutes les décisions sont prises par l’Exécutif. Par exemple, nous allons à des élections qui vont encore être des élections de contentieux alors que toutes ces questions ont été déjà réglées par les Assises ».
« On n’a pas donné (également) une suite favorable aux travaux de la CNRI », a embrayé un des panélistes et membre de CNRI, Pr Abdoulaye Dièye, Enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’UCAD. Prenant la balle au rebond, l’ancien Premier ministre et modérateur des débats, Mamadou Lamine Loum, a pointé « un problème de l’heure. »
Pour certains, le fait de ne pas avoir mis en place « un mécanisme de suivi des productions » visant à améliorer la situation du pays, y est pour beaucoup. D’où le plaidoyer pour la « vulgarisation » des travaux des Assises. Une proposition revenue dans plusieurs interventions.
Mais, le processus semble inéluctable, selon Pr Penda Mbow, arguant que « les conclusions de ces assises seront appliquées un jour ou l’autre. (D’abord), nous allons vers un monde où le renouveau démocratique sera un impératif. Au Sénégal, on ne pourra pas aller vers ce renouveau sans passer par les conclusions des Assises nationales et la charte démocratique. (Ensuite), nous avons plus que jamais besoin de bâtir un consensus très fort, si nous voulons négocier cette reconstruction post-Covid. Et là, je pèse bien mes mots, il nous faut retourner vers un consensus. Les conclusions de ces Assises ont embrassé tous les aspects de la vie politique, économique, sociale, culturelle, juridique, il faut simplement réactualiser ces conclusions en fonction de ce que nous sommes en train de vivre. Et, on se rendra compte que la société est en train d’échapper petit à petit aux acteurs politiques, et c’est ça qu’il faudra éviter sinon demain, d’autres acteurs vont naître. Et ces acteurs peut-être ne seront pas les mieux armés ».
Ce qui fait que la question de l’évaluation est « importante » afin d’éviter « de passer à côté de notre histoire », a appuyé Pr Mame Penda BA, agrégée de Sciences politiques.
DE WADE À MACKY…DU DÉJÀ VU !
« Ces dernières décennies, si on enlève les dates, on a l’impression que tout ce qui a été dit, c’est ce qu’on disait pendant la gouvernance Wade », a-t-elle souligné. Même si on régresse, il ne faut pas désespérer. Je viens de rentrer du Tchad d’une recherche sur la couverture sanitaire universelle, dix jours avant (la mort) du président Déby. On était en pleine campagne électorale. Je fais partie des 102 universitaires qui ont signé le texte sur la crise de l’Etat de droit. J’ai vu ce que cela voulait dire un régime autoritaire. C’est-à-dire qu’il n’y avait que des photos grandeur nature du président (Déby) et son épouse. J’ai vu ce que cela peut être un modèle non démocratique. Je me suis rendu compte que ce qu’on avait est précieux, et il faut le préserver, le maintenir. Il faut le défendre littéralement. Une autre chose qui m’a semblé importante, c’est que le Sénégal alors que je n’y croyais plus moi-même est un pays qui sert encore de modèle aux autres pays africains. Quand on dit, je suis sénégalaise, les gens connaissent l’actualité sénégalaise quasiment sur le bout des doigts. Commentant ce qui était en train de se passer ici, ils disaient que nous ne pouvions pas cédé, que le Sénégal a des acquis démocratiques, qu’il faut que la société s’accroche, etc. Donc, ça aussi, c’est important. Etre un modèle ne veut pas forcément dire qu’on est en avance. Cela veut dire que nous avons cette responsabilité pour ce continent. Ce que nous faisons a du sens. »
Pour l’heure, le projet de création d’un Institut des Assises nationales suit son cours, a renseigné le modérateur, expliquant qu’il aura « pour tâche de faire d’abord la propagation de la charte de gouvernance démocratique, en faisant appel aux jeunes, de manière à ce que nous puissions passer la relève aux générations à venir. Ensuite, de caractériser le comportement de tous les adhérents à la charte, étatiques et non étatiques, pour voir en quoi on dévie du chemin. Enfin, voir comment nous nous situons par rapport aux principes des valeurs des assises nationales. »
L’objectif, a-t-il conclu, « est d’en faire un outil d’évaluation des politiques publiques », élargi à la sous-région.