Le constat est unanime : l’insécurité et la délinquance ont pris le pouvoir dans la commune de Grand-Yoff. Dans cette localité, la récurrence des agressions et des cas de vol avec violence hante le sommeil des populations. La dernière victime est Lotaly Mollet. L’étudiante congolaise de 28 ans, pour mémoire, a été assassinée devant sa résidence, le 19 mai dernier, alors qu’elle revenait d’une séance de travail en vue de la soutenance de son mémoire. Un fait atroce qui a suscité l’émoi et qui a fait couler beaucoup d’encre. Plus récemment, le jeune Patrice Gomis a été tué dans des circonstances tout aussi insupportables. De retour d’une soirée dansante, il s’est bagarré avec deux de ses compagnons, Ousmane Gomis et Pape Alé, après une violente dispute. Il a reçu des coups de tesson de bouteille (voir ailleurs).
Grand-Yoff à la réputation d’être le ‘’siège’’ des malfrats, et cela ne date pas d’aujourd’hui. Qu’elles en sont les causes ? Qu’est-ce qui fait que cette situation perdure ? Que faudrait-il faire pour y mettre un terme ? Autant d’interrogations qui méritent des réponses urgentes et fermes.
‘’EnQuête’’ a fait une descente dans cette zone. Il est 13 h. Des gamins souriants reviennent de l’école, en s’adonnant à un jeu de course-poursuite. Pendant ce temps, d’autres jeunes garçons déambulent dans la rue, se retrouvent dans les aires de jeu ou devant les magasins. Le temps est plutôt clément, surtout à l’extérieur des maisons, en cette période de canicule.
‘’Nous sommes à Grand-Yoff, dans le cadre de nos activités de commerce. Mais tous les jours, nous sommes obligés de baisser rideau le plus tôt possible, parce qu’à une certaine heure de la journée, les bandits profitent des difficultés à trouver un moyen de transport pour passer à l’acte’’, confie, après une très longue hésitation, une jeune femme trouvée sur la route qui mène vers le pont Sénégal émergent, en compagnie de sa collègue. Elle n’en rajoutera pas un mot. Le sujet inquiète plus d’un. Ici, chacun craint pour sa sécurité.
‘’Nous sommes obligés d’accompagner nos enfants qui vont à l’école, tôt le matin, ainsi que nos femmes, quand elles partent au travail. Et le soir, à leur retour, nous sommes encore obligés d’aller les chercher, tout en sachant que nous-mêmes ne sommes pas en sécurité. Si cela continue comme ça, les populations vont, elles-mêmes, prendre en charge cette question, en se faisant justice’’, renchérit un habitant de ce quartier.
Ce dernier, relève qu’il n’existe pas un moment de la journée où les populations peuvent avoir la conscience tranquille. Il souligne que l’aube et les heures de descente sont les périodes les plus dangereuses.
Sexagénaire en pleine forme, Fatou Badji vend des fruits à l’angle d’une maison où convergent plusieurs chemins. Sceau rempli de divers fruits sur la tête, la dame s’apprête à renverser sa table de fortune, après une journée bien remplie. Elle, le sujet la passionne. Interpellée, elle dépose son récipient rempli de marchandises et indique à quel point cette situation est terrorisante. ‘’Je n’ose plus sortir avec une pochette. Je me sers de mon voile pour garder mon argent, en l’attachant bien avec le tissu. Parce que souvent, je sors de bonne heure pour aller me ravitailler en marchandises’’, dit-elle.
Des malfaiteurs récidivistes et de plus en plus dangereux
Croisée au quartier Sanzala, Khadija Diagne est une jeune fille d’une vingtaine d’années qui réside à Grand-Yoff. Sac à main sur l’épaule droite, vêtue d’une robe rouge-noire, elle semble apeurée, quand elle aborde le sujet. Elle regrette la passivité des forces de sécurité, mais surtout le fait qu’on libère des malfaiteurs qui reprennent du service, à peine sortis de prison.
‘’Les policiers connaissent les agresseurs jusqu’au bout des doigts. Ils sont libérés, après moins de trois mois de détention. Pourvu que Dieu nous protège. Parce que ‘ku nek sa bakaan mu gi ci xotu guerté’ (chacun est en danger)’’, témoigne-t-elle d’un débit rapide, avant de hâter le pas.
Casquette sur la tête, le regard caché par des lunettes noires, Douada Cissokho, la quarantaine, tient compagnie au propriétaire d’une petite quincaillerie à la cité Millionnaire. Né dans ce quartier qui l’a vu grandir, il soutient que l’existence du commissariat de Grand-Yoff n’est que de nom.
‘’Il n’y a aucune sécurité à Grand-Yoff. Les agressions sont tellement récurrentes ici qu’on a l’impression que cette commune ne fait pas partie de Dakar. Parce que les bandits ne sont guère anxieux devant la présence des policiers. Ils s’en foutent des forces de l’ordre. C’est surtout parce qu’ils savent qu’ils seront relâchés, en peu de temps, si on les enferme’’, dit-il avec dépit. ‘’Sanzala, poursuit-il, c’est le lieu où se retrouvent les bandits ; c’est également le ‘QG’ des policiers’’. Pour lui, à Grand-Yoff, le travail des policiers se limite à stopper les conducteurs de scooter et des gens qui circulent sans leur pièce d’identité. ‘’En tout cas, on ne sent pas la présence des policiers’’, ajoute-t-il.
De plus, nombreux sont ceux qui pensent que la vente de produits prohibés tels que le chanvre indien fait partie des principales causes de la délinquance dans cette localité. ‘’Grand-Yoff est la base des vendeurs de chanvre indien. C’est comme le marché Castor (ça tape à l’œil). J’ai presque 44 ans et j’ai grandi ici. Au début, ils vendaient en cachette, mais maintenant, ils exposent leurs produits au vu et au su de tout le monde. Personne, même la police, n’ignore ce qui se passe’’, poursuit M. Cissokho.
Etudiant en troisième année à la faculté des Sciences juridiques et politiques (FJSP), Charlemagne Diédhiou connaît la jeune fille qui a été assassinée récemment par les agresseurs. Trouvé devant une quincaillerie où il fait de petits boulots à la fin de l’année scolaire pour se faire un peu d’argent, il renseigne que la majeure partie des agresseurs consomment du chanvre indien.
Mais il rejette l’idée selon laquelle les débits de boissons alcoolisées font partie des causes. ‘’Il y a des gens qui consomment beaucoup de chanvre indien jusqu’à dépasser les limites. Quand on en prend beaucoup, on fait des choses dont on ne se rend même pas compte’’, indique-t-il.
‘’Après avoir bu de l’alcool, on part tranquillement au lit pour dormir’’, dit-il, limitant ainsi la cause du mal à une consommation non-modérée de chanvre indien. Mais, poursuit-il, à Grand-Yoff, ils sont nombreux ceux qui prennent les deux à la fois. Un cocktail dangereux, selon lui.
Par ailleurs, il regrette le fait que la plupart des populations n’osent pas dénoncer les actes posés par les bandits. ‘’Ce serait bien que les populations se mettent à dénoncer’’, déclare le jeune homme, avant de relativiser : ‘’Mais on dirait qu’il y a un complot, des fois. Tu dénonces ; demain, on te retrouve chez toi et on te tue. C’est pour cela que les gens n’ont pas le courage de dénoncer. Les malfaiteurs sont connus.’’
En effet, actuellement, même les automobilistes ne sont pas épargnés dans la commune. Les malfrats profitent de la circulation pour ouvrir les portières et repartir avec un butin qui peut être un téléphone, une sacoche ou un porte-monnaie, entre autres.
Manque d’éducation
Un peu plus loin, dans une zone caractérisée par une forte pollution sonore résultant des haut-parleurs des marchands installés dans des abris de fortune en vieux bois, nous entrons en contact avec un maçon qui profite de sa pause. Il construit un perron couvert par une chape de béton à la devanture d’une maison. L’hivernage arrive ! Teint noir, costaud, la quarantaine révolue, l’ouvrier Alpha Sow est assis à même le sol. Son t-shirt trempé de sueur, l’air fatigué, il trouve un appui avec sa main gauche, en se penchant à l’arrière et boit avec délicatesse son sachet d’eau fraîche avec l’autre main, avant de déclarer : ‘’On est vraiment fatigué des agressions. Tout ça, c’est le fruit d’une mauvaise éducation. Les gens ne prennent pas la peine de donner une bonne éducation à leurs enfants. Ils les laissent dans la rue.’’
A proximité du marché de Grand-Yoff, devant une maison où il a installé son atelier de couture en bois, Mohamed Ousmane Ndong, la cinquantaine, indexe, quant à lui, le manque d’emploi. ‘’C’est à cause du chômage qu’il y a toutes ces agressions. Les jeunes n’ont pas de perspectives. Ils passent leur temps à palabrer, dès leur réveil. Et le soir, ils partent à la ‘chasse’. Le pont de l’Émergence (Ex-Sénégal 92) sert de cachette aux agresseurs’’.
Ainsi, comme piste de solution, il demande à l’Etat d’aider les jeunes avec des activités rémunératrices. ‘’Nous invitons le gouvernement à aider davantage les jeunes à trouver de l’emploi. Cela aidera peut-être à diminuer la délinquance’’, pense-t-il.
Autres doléances des populations : le renforcement des effectifs du commissariat de police de Grand-Yoff ; la mise à disposition du commissariat de moyens logistiques suffisants pour traquer les délinquants et les mettre hors d’état de nuire ; la mise en place d’un réseau de caméras de surveillance dans les grandes artères de la commune, afin de faciliter la tâche aux forces de l’ordre.
NB : Nos tentatives pour avoir la version de la police sont restées vaines. On nous a demandé de formuler une demande. Ce qui a été fait le 23 juin dernier. Mais malgré les relances, nous n’avons pas pu avoir d’interlocuteur. Nous aurions aimé avoir des informations sur le dispositif sécuritaire mis en place ; la fréquence des patrouilles ; les moyens mis à la disposition du commissariat ; les chiffres sur la délinquance dans la zone, entre autres questions.