Le secteur de la mécanique au Sénégal est très prometteur. Même si l’Etat n’en profite pas toujours du fait que les pièces de rechange et les voitures viennent d’autres pays. Et que le manque à gagner en termes de recettes fiscales est énorme du fait du caractère informel de ces petites et moyennes entreprises.
Les gens qui ont l’habitude d’arpenter les artères de l’Avenue Bourguiba, ont certainement croisé une fois sur leur route Moustapha Kaïré. Taille moyenne, forte corpulence, sénégalais bon teint, le mécanicien ne manque jamais une occasion de faire un détour sur cette allée qui lui remémore tant de souvenirs. Celui de son paternel d’abord, Mor Kaïré, qui avait décidé d’établir son garage sur le site qui abrite aujourd’hui la station Shell. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Dakar est devenu ce qu’il est, une capitale où le manque d’espace exige parfois des luttes pour des portions de terre jusque dans les couloirs du tribunal. Or, dans toute bataille judiciaire, il y’a un vainqueur et un vaincu. Hélas pour lui, ce combat, Tapha Kaïré l’a perdu. Alors que depuis 2001, le vieux Mor Kaïré n’est plus. Un soutien dont son fils avait certainement besoin pour faire face à ce qui l’attendait. 2014, année où le verdict du tribunal est tombé, présageait pour lui un horizon difficile. Il a envoyé des courriers à la plupart des personnalités de ce pays y compris le premier ministre, mais rien n’y fera. Finalement, le chef de garage, du moins dirigeant de ce qui est resté de son équipe, fait avec les moyens du bord. Après avoir tenté de se relancer dans d’autres quartiers, tel un vrai nostalgique, Tapha est retourné là où tout a commencé. Sachant bien sûr que rien ne sera plus comme avant. Actuellement, de son groupe constitué d’une vingtaine de personne, il n’en reste plus que quatre. Et puis, en lieu et place d’un endroit fermé, c’est sur le bord de la route que son travail de dépannage est fait. Suffisant pour qu’il pense à renoncer, convaincu du fait que les pouvoirs publics ne considèrent pas les garagistes à la hauteur de ce qu’ils font pour la société. Pourtant, Moustapha qui ne manquera pas d’attirer l’attention sur le nombre de jeunes qu’ils forment chaque année, avait comme ambition de formaliser sa petite entreprise. Et puis, il affirme qu’il paie l’impôt sur le revenue quant il s’agit de réparer des voitures de l’administration ainsi que durant les périodes où il a loué des garages.
Malgré un tel fait, le pouvoir est resté jusqu’à ce jour insensible au cri de détresse de ces types de garages. Le ministre Ali Ngouille Ndiaye demande même de faire un pas vers une transition qui est aujourd’hui inéluctable en évoquant comme solution des sites de recasement comme par exemple la zone industrielle de Diamnadio. Une nouvelle donne qui impose donc aux mécaniciens, tôliers, électriciens automobiles du secteur informel, un changement radical dans leur manière de procéder.
La transition numérique
À quelques mètres du garage à ciel ouvert de Moustapha Kaïré, se trouve celui de Pape Thiam, un électricien. L’avantage de ce dernier est qu’il a trouvé un local qu’il partage avec des mécaniciens, des tôliers et des vendeurs de pneus. Le site leur a été donné par un tiers gratuitement. Chose qui ne veut pas dire que cela leur appartient, mais qu’ils peuvent y exercer leur activité. Seulement, à première vue, on constate que certaines voitures sont exposées jusque sur les trottoirs. Preuve qu’ils se sentent un peu à l’étroit. Ce jour là, Paco, comme l’appellent les intimes, s’apprêtait à aller au crédit foncier pour acheter quelques pièces pour la réparation d’un automobile immatriculé AD. En fait, tout dépendait en fin de compte du client puisque celui-ci n’avait pas encore donné la somme indiquée pour que ces matériels puissent être acquis. Une chance pour nous. Ce quinquagénaire allait nous accorder un peu de son temps. En parlant d’abord de la nouvelle génération de voitures qu’ils sont censés réparés : les voitures électroniques qui sont actuellement au mode. A l’image de beaucoup de professionnels de la réparation de voitures, Pape Thiam ne dispose pas de la machine habilitée à faire le diagnostic des voitures en panne. Par conséquent, il explique qu’il est obligé de payer à d’autres électriciens pour qu’ils le fassent à sa place. Fait qui constitue d’une part un manque à gagner. D’autre part, cela montre que l’activité n’est pas au mieux de sa forme pour certains garagistes. Le prix de ces machines varie entre 300.000FCFA et 5 millions. Cet outil dont le niveau de technologie dépend de la somme déboursée sert non seulement à diagnostiquer les pannes, mais aussi à programmer des clés et des cassettes auto. Moustapha Kaïré lui en possède une qu’il a achetée à 1.500.000FCFA. Cet appareil est indispensable pour ces professionnels que l’on appelle actuellement électromécaniciens. Dénomination qui veut dire qu’ils exercent en même temps le métier de mécanicien et d’électricien. Même son utilisation nécessite un certain niveau d’apprentissage, il y’en a qui, à l’instar de Tapha Kaïré qui a quitté l’école dès le bas âge, s’adaptent.
Un pouvoir inflexible
Les garages mécaniques devront aussi s’adapter à un pouvoir qui est resté jusqu’à ce jour insensible à leur cri de détresse. Le ministre Ali Ngouille Ndiaye leur demande même de faire un pas vers un avenir qui est aujourd’hui inéluctable, en évoquant comme solution des sites de recasement dans la zone industrielle de Diamnadio. Une nouvelle donne qui impose donc aux mécaniciens, tôliers, électriciens automobiles du secteur informel, un changement radical dans leur manière de procéder dans leur rapport avec le foncier. Or, à quelques kilomètres de l’avenue Bourguiba, à Mermoz sur l’ancienne piste, d’autres mécaniciens ont un problème similaire. La mairie de sacré cœur Mermoz, allié à un tiers qui prétend être le propriétaire du terrain objet de la discorde, est en contentieux avec eux. Le dossier est actuellement pendant devant dame justice. Selon le président du Regroupement des Vrais Artisans de l’Automobile du Sénégal (REVAAS), ce tiers qui a promis à la mairie la construction d’une crèche municipale, ambitionne de faire également sur le site des habitations. Des informations corroborées par une source au niveau de la mairie. Puis, le propriétaire présumé a pu démontrer qu’il était en droit de réclamer le terrain. En dépit de cela, il a proposé aux mécaniciens une somme de 60 millions, un terrain de 30 millions et de prendre leur déménagement à ses frais. Chose que les intéressés ont refusé. Dans le même registre, le président du REVAAS, Ali Sow, informe que le gouvernement s’est engagé à céder aux mécaniciens de la région de Dakar, un terrain de 25 hectares à Diamnadio. Mais, d’autres promesses ont été déjà faites se rappelle-t-il. Lors du déguerpissement des mécaniciens, tôliers et électriciens du garage de pompier, le gouvernement s’était engagé à fournir un terrain de 5000 m2 plus une somme de 93 millions. Néanmoins, Ali Sow et les siens ne désespèrent pas. Raison pour la quelle, ils sont en train de faire le recensement des garages de Dakar pour ces futures dotations.
Ce genre de politique existe déjà à la SODIDA. Certains mécaniciens établis sur le site bénéficient de baux. L’un d’entres eux, le propriétaire du garage chinois, juste après la station totale de castor, sur l’avenue cheikh Ahmadou Bamba, s’appelle Ousmane. Il n’a rien d’un chinois. Nous l’avons rencontré. Mais chinois est à l’image de tous les mécaniciens dont l’activité marche, un homme pressé. L’oreille collée le plus souvent au téléphone. Des clients qui appellent soit pour s’enquérir de l’état de leur véhicule, mais aussi d’autres qui veulent acheter des voitures. L’homme personnellement n’est pas un vendeur. Sans doute son activité lui permet parfois d’être au fait des nouvelles du marché. Puisque là où un mécanicien traine, qui plus est un de l’ancienne génération, une voiture n’est jamais loin. Soit elle est à vendre soit à réparer. Ce samedi là, elle était plutôt à réparer. Devant le capot ouvert, se tenaient tout autour, chinois et ses apprentis. À peu près une douzaine de jeunes. Tout à coup, Ousmane demande à celui qui est au volant de bien vouloir faire démarrer. Au même moment, un autre croyant avoir trouvé l’origine de la panne s’avance avec un fil entre les mains. L’essentiel du diagnostic des pannes était fait à la main. Pas de technologie de pointe pour savoir avec précision là où le bas blesse. Mais, Ousmane ne s’en sort pas mal. Son local est très bien placé. La clientèle ne manque pas. Le revers de la médaille est qu’il n’a aucune comptabilité et les voitures débordent là aussi jusque sur le trottoir. Ce point aussi, Ali Ngouille Ndiaye l’a abordé lors de sa visite à la SODIDA. »Cela ne peut plus continuer » : dira-t-il.
Mais, le secteur de la mécanique ne profite pas seulement aux ouvriers. De nombreuses personnes se sont spécialisées dans la vente des matériels de rechange. La plupart des pièces détachées qui arrivent au Sénégal sont vendues dans les magasins. Dans la région de Dakar, la part belle revient à ceux établis au niveau du crédit foncier, plus connu sous le sobriquet de ‘’Difonsé’’.
Crédit fonciere marché par excellence
‘’Difonsé’’ fait partie de ses endroits où ordre et désordre s’accommodent. Dans ce bazar, la voiture règne en maitre. Des moteurs disposés à même le sol, des plaquettes, des phares, des pattes moteur, des pare-chocs, des vitres avec au beau milieu les vendeurs. Certains sont employés dans des magasins. Tous les matériels de transport et pièces détachées viennent de l’étranger. Mais, il est hors de question pour ces vendeurs de révéler là où ils vont s’approvisionner. La concurrence n’est jamais loin. Au contraire, ils préfèrent parler de leurs clients. Ces derniers sont constitués de mécaniciens, de tôliers, d’électriciens. En plus de commerçants qui viennent de l’intérieur du pays. Pour leur part, ceux qui sont établis sur le bord de la route, font à peu près le même business. Par contre, la plupart des matériels qu’ils détiennent ont été déjà utilisés, cédés à un prix plus compétitif que celui des magasins. L’un d’eux, Mamoure Kane, exerce ce métier depuis 1998. Sa petite entreprise regroupe majoritairement des membres de sa famille. Leurs pièces, ils les achètent au niveau des conteneurs et des revendeurs, déclare-t-il. Côté chiffre d’affaires, là aussi, rien de précis. Juste des sommes d’argent distillées çà et là : 30.000 ou 100.000FCFApar jour. Tout dépend de l’offre et de la demande. Et même, Mamoure Kane nous confesse qu’il lui arrive de rentrer chez lui bredouille, sans un sou.
Dans une certaine mesure, tout ce beau monde est concerné par les problèmes endémiques qui secouent le secteur de la mécanique. L’activité des uns impactant sur celle des autres. Cette problématique peut se résumer en 3 F : foncier, Formation et Formel. En tout cas, parmi les mécaniciens certains ont déjà fait le pas, respectant tous les normes requis pour exercer leur métier en toute légalité.