A l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, l’heure des renouvellements est le moment des batailles, de convoitises, de «mortal kombat» où personne ne veut perdre ses privilèges. Des amicales qui gèrent des ressources financières assez importantes dans une totale opacité. Sous le regard presque complice des autorités universitaires.
C’est l’instant tant redouté par les autorités académiques : Le renouvellement des amicales à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Avec son lot de désagréments, cet évènement annuel bascule souvent le Temple du savoir dans la violence. Dans les facultés, les écoles et institutions affiliées à l’Ucad, l’heure est aux élections des organisations de défense des intérêts des étudiants. A la suite des évènements tragiques opposants Kékendo à Ndefleng, le Conseil restreint de l’Ucad a décidé de suspendre le renouvellement des amicales et la fermeture du campus social. Si les autorités devraient finalement revenir sur cette décision à la suite d’une réunion avec les étudiants, il a été clairement identifié que le cœur des problèmes réside dans les avantages que les amicales bénéficient dès leur mise en place.
La bataille pour l’accession au trône est jalonnée de douleurs entre des camps rivaux qui tentent de dicter leurs points de vue pour obtenir leur part du gâteau. «C’est normal qu’il y ait de la concurrence», sourit Steven Dame Sène, président sortant de l’Amicale de la Faculté des lettres et sciences humaines (Flsh). Dans cette Faculté qui concentre près de 40 mille étudiants, elle gère une importante manne financière. Sous le magistère de Mary Teuw Niane au ministère de l’Enseignement supérieur en 2013, les étudiants ont pu obtenir 10% des Droits d’inscription pédagogique (Dip). Un montant qui est reversé à l’amicale de chaque Faculté. Sans contrôle. «J’ai été président de commission sociale. Le président de l’Amicale et des membres du bureau se tapent un certain nombre d’avantages parce que le Coud et le rectorat ne surveillent rien», nous souffle Amadou Thiam, étudiant de la Flsh.
Au-delà des Dip, le Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) est l’autre vache laitière des amicales avec des subventions allouées à ces organisations. En plus des financements d’activités des amicales, le Coud accepte au sein de son Conseil d’administration 4 délégués issus des amicales. «Là aussi, chaque personne qui siège à 200 mille de perdiem lors des réunions. Cela fait courir beaucoup d’étudiants», souligne Victor Sadio Diouf, conseiller du directeur du Coud. En 2012, on se rappelle qu’une délégation de l’Ucad devait se rendre aux Etats-Unis pour un colloque. Le président de l’Amicale de la Flsh ne reviendra jamais. Lorsque Abdoulaye Diouf Sarr était directeur du Coud en 2012, un dirigeant d’amicale la Flsh s’est retrouvé, avec une bourse, au Maroc. Durant la même période, le président de l’Amicale de la Faseg s’est vu octroyer une bourse pour la France. Sous Mary Teuw Niane, les amicales étaient suspendues. Mais à la Faculté des lettres, le dirigeant de la liste Orange a profité de son statut pour obtenir une inscription en France et filer en Allemagne. Le modus operandi est clair. Quand on ne bénéficie pas d’avantages au sein des amicales, on se rebelle pour créer une liste afin d’exister et négocier le moment venu au nom de la cause des étudiants.
Au sein de l’espace universitaire, le moment le plus couru par les aspirants aux rênes des organisations amicales demeure la période de la répartition des chambres dite «codification». Regroupant plus de 80% des effectifs de l´enseignement supérieur public, l´Université Cheikh Anta Diop de Dakar, avec ses 80 mille pensionnaires, croule sous les effectifs. Raison pour laquelle certains présidents de commission sociale sont très courtisés durant cette période. «C’est eux qui gèrent les chambres, car ils siègent au sein de la commission chargée de la répartition des lits. Et là, certains se permettent de les vendre à 200 mille, 300 mille, 500 mille à des personnes parfois étrangères à l’Université. Cela se fait au détriment des méritants qui parfois échouent parce qu’ils devaient avoir des chambres, mais ne les ont pas à cause de pratiques véreuses de la part de leur amicale», dénonce Pape Abdoulaye Touré, membre de liste Ethique, candidate pour diriger l’Amicale des étudiants de la Faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp). «Sous Wade, le Meel avait un quota de chambres. Sous Macky Sall, le Meer avait un quota de chambres, comme c’était le cas avec le Mees au temps du Ps. Souvent dans ces chambres, il y a des non étudiants parce que l’Université est un enjeu politique. Ce n’est pas pour rien qu’on met des politiciens à la tête du Coud», souligne Amadou Thiam de la Flsh.
Le rectorat et le Coud ferment les yeux
Le phénomène des usagers non étudiants à l’Ucad est une réalité. La personne décédée la semaine dernière à la suite des affrontements entre les mouvements Kékendo et Ndefleng n’était plus étudiant. Celui qui l’a blessé n’est aussi pas inscrit dans aucune faculté, école ou un institut de l’Ucad. «C’est déplorable, mais c’est une réalité. Au cause des avantages qu’on a grâce à l’amicale, parfois on trouve des gens qui ont ‘’cartouché’’ ou ont fini leurs études, mais qui s’agrippent pour garder des privilèges», confirme Wokha Ba, président de la Coordination des écoles et instituts de l’Ucad. M. Ba, étudiant à l’Institut des sciences de la terre (Ist), invite le rectorat et le Coud à mettre des mécanismes de suivi pour une gouvernance vertueuse des amicales.
En février dernier, des deux organisations d’étudiants se sont frottées à la Faculté des sciences et techniques (Fst). Ces entités, dont l’équipe sortante, se battaient pour le contrôle des nouveaux des bacheliers. Le pugilat a causé un handicap à un étudiant. Dans une note, le Conseil restreint de l’Ucad a interdit toute activité syndicale au sein de cette Faculté jusqu’à nouvel ordre et suspendu temporairement 5 étudiants. Malgré tout, la violence persiste à l’Ucad.
Source le quotidien