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Le projet de loi de finances face à l’obstacle des délais constitutionnels Pr Meïssa DIAKHATE Agrégé des Facultés de droit

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Les urnes ont fini d’arbitrer le jeu politique. Les électeurs ont renouvelé leurs choix de clarifier la majorité et de doter les nouvelles autorités de leviers nécessaires pour gouverner en harmonie avec les aspirations profondes de la population.
La coïncidence des majorités présidentielle et législative est la traduction d’une démocratie saine. Mais, elle n’est pas sans interroger la relation entre l’Assemblée nationale et le Gouvernement. Au vu de l’ampleur des résultats, la majorité parlementaire incarnée par le PASTEF aura-t-elle en face une réelle Opposition parlementaire ? A mon sens, la vraie Opposition que rencontrera la 15e Législature, c’est le Droit.
A toutes les étapes du travail législatif, la majorité aura à challenger les points de droit qui se dresseront contre la volonté du Gouvernement. Ainsi, il faudra éviter que l’Opposition parlementaire puisse enfourcher ce cheval de Troie : « Vous avez la force, nous avons le droit » (Victor Hugo).
Point de doute ! La volonté politique est affirmée par le leader du PASTEF, Ousmane SONKO, qui en a appelé à la responsabilité des nouveaux élus. C’est manifestement un appel à la rupture dans l’exercice du mandat représentatif.
C’est dans ce contexte précis qu’il conviendrait de s’interroger sur les voies de droit pour conduire l’Assemblée nationale à voter le projet de loi de finances pour l’année 2025 dans les délais constitutionnels.
Du reste comme le débat en cours sur l’ « abrogabilité » ou non de la loi portant amnistie (nous y reviendrons), les réflexions sur les délais d’examen du projet de loi de finances pour l’année 2025 sont toutes intéressantes mais demandent à être technicisées et documentées.
Tout compte fait, nous retenons que la présente contribution, à l’instar de ses devancières, répond à une nécessité éminemment didactique, en l’occurrence apporter un éclaircissement sur les créneaux disponibles favorisant l’adoption du projet de loi de finances pour l’année 2025 dans les délais constitutionnels plus qu’à se livrer à un jugement d’opportunité exclusivement dévolu au Gouvernement et à sa majorité victorieuse. Nous n’avons gardé ici que le privilège de la réflexion libre, à la lisière de deux écosystèmes critiques que sont l’ordre épistémique et la sphère politique.
D’où les deux axes ci-après permettant de cerner la question des délais relativement à la pratique parlementaire et à l’argument constitutionnel. L’alternative est simple : soit maintenir le statu quo soit opérer une rupture.
I/ Reconduire la pratique parlementaire
L’Assemblée nationale a eu une longue pratique consistant à se soumettre à l’urgence pour ne pas dire à la précipitation. Les procédures sont souvent déroulées sous la pression du temps qui joue généralement en défaveur de la sérénité et de la qualité des débats parlementaires.
C’est bien évidemment l’orientation qui encourage à recourir à la panacée parlementaire : la compression du calendrier des travaux en Commissions techniques.
En effet, il serait possible de boucler l’examen du projet de loi de finances pour l’année 2025 au mois de décembre 2024. Cette hypothèse impliquerait de recourir à une procédure que les Constitutionnalistes qualifient de « cavalière » : i) en Conférence des Présidents, programmer le passage d’au moins deux (2) à trois (3) ministères devant la Commission des Finances et du Contrôle budgétaire qui est l’organe saisi au fond sur tout projet de loi de finances et dont les travaux sont élargis à la ou aux commission (s) technique(s) saisie(s) pour avis, conformément au Règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
En faisant passer trois (03) ministères par jour (à raison de 4h par ministère : 9 H à 13 H, 15 H à19 H et 2 0H-23H 59 mn), le « ratio temps / député » par séance de Commission comportant, au moins, un nombre de 72 députés (43 pour la Commission des Finances et du Contrôle budgétaire et 29 autres membres de la Commission compétente saisie pour avis) est environ égal à 3mn 30s par député, en décomptant les retards et incidents probables ainsi que la participation (sans droit de vote) des autres députés. A y ajouter le temps de réponse imparti principalement au ministre sectoriel et accessoirement au Ministre des Finances et du Budget, l’intervention de chaque député se réduirait, dans l’absolu, à une proportion congrue de 1 mn 0 s à 2 mn environ, juste le temps d’adresser des marques de civilité et de porter des témoignages à l’endroit du Gouvernement. En général, le temps ne fait pas l’objet de répartition au prorata entre les groupes parlementaires et les non-inscrits dans les travaux des Commissions, souvent à la différence de la plénière.
Sous ce regard, le député pourra-t-il, en un temps éclair, interpeller le ministre sur le projet de budget de son département, remonter les doléances des populations, formuler des amendements ? Ce n’est pas évident.
A l’évidence, l’heure de la rupture dans le temps de travail doit retentir notre attention, et c’est fondamentalement l’une des raisons clés de l’instauration de la session ordinaire unique (sur plusieurs mois) pour permettre à l’Assemblée nationale de travailler de façon continue et constructive.
Dans le décompte, il ne faudrait pas occulter les dispositions des articles 73 et 74 de la Constitution en vigueur qui impliquent un vote du projet de loi de finances avant le 24 décembre 2024, au cas où l’option serait de le contenir dans les délais constitutionnels : la seconde lecture, moins probable dans le contexte de correspondance des majorités présidentielle et parlementaire, et la saisine a priori du Conseil constitutionnel, plus évidente si l’Opposition le souhaite.
Pour rappel, il ressort de cet article 74 que « le Conseil constitutionnel peut être saisi d’un recours visant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle : i) par le Président de la République dans les six (06) jours francs qui suivent la transmission à lui faite de la loi définitivement adoptée, ii) par un nombre de députés au moins égal au dixième (1/10) des membres de l’Assemblée nationale, dans les six (06) jours francs qui suivent son adoption définitive. »
Ces dispositions justifiaient, en vertu d’une pratique parlementaire établie, l’adoption des projets de loi de finances à l’intervalle de quelques jours de la date butoir du 31 décembre, soit théoriquement, vingt-et-un (21) jours.
Il est nécessaire également de préciser que le projet de loi de finances est un document complexe et technique, difficilement accessible aux juristes, à plus forte raison à une Assemblée nouvellement élue. Il se pose ainsi une question qui n’a rien d’anodin : par quelle alchimie les députés parviendraient-ils à exploiter pleinement l’ensemble des documents qui, au sens strict, accompagnent le projet de loi de finances pour l’année 2025 ? Nous aspirons à en percer le mystère.
D’après les dispositions de l’article 45 de la loi organique n° 2020‐07 du 26 février 2020 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 2011‐15 du 08 juillet 2011 relative aux lois de finances, modifiée par la loi organique n° 2016‐34 du 23 décembre 2016 (LOLF), la loi de finances de l’année est accompagnée :
A) d’un rapport définissant l’équilibre économique et financier, les résultats connus et les perspectives ;
B) d’un document « voies et moyens » évaluant le rendement et justifiant l’évolution des impôts dont le produit est affecté à l’Etat ;
C) d’un plan de trésorerie prévisionnel et mensualisé de l’exécution du budget de l’Etat ;
D) du document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle tel que défini à l’article 51 de ladite loi organique ;
E) des documents de programmation pluriannuelle des dépenses, tels que prévus à l’article 52 de ladite loi organique, ayant servi de base à la préparation des budgets des ministères ;
F) d’annexes explicatives :
1° développant pour l’année en cours et l’année considérée, par programme ou par dotation, le montant des crédits présentés par nature de dépense. Ces annexes sont accompagnées du projet annuel de performance de chaque programme qui précise :
a) la présentation de chacune des actions et de chacun des projets prévus par le programme, des coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus pour les années à venir mesurés par des indicateurs de performance ;
b) la justification de l’évolution des crédits par rapport aux dépenses effectives de l’année antérieure ;
c) l’échéancier des crédits de paiement associés aux autorisations d’engagement ;
d) par catégorie d’emploi, la répartition prévisionnelle des emplois rémunérés par l’Etat et la justification des variations par rapport à la situation existante;
2° développant, pour chaque budget annexe et chaque compte spécial, le montant des recettes et des dépenses ventilées par nature. Dans le cas des comptes de prêts et d’avances, les annexes contiennent un état de l’encours et des échéances des prêts et avances octroyés. S’agissant des budgets annexes, ces annexes explicatives sont accompagnées du projet annuel de performance de chaque programme, dans les conditions prévues au point premier du présent article ;
3° comportant un état développé des restes à payer de l’Etat établi au 31 août de l’année en cours ;
4° comportant un état développé des restes à recouvrer ;
5° indiquant le montant, les bénéficiaires et les modalités de répartition des concours financiers accordés par l’Etat aux autres administrations publiques ;
6° contenant un état développé de l’encours et des échéances du service de la dette de l’Etat et la stratégie d’endettement public prévue dans les dispositions du règlement relatif au cadre de référence de la politique d’endettement public et de gestion de la dette publique dans les Etats membres de l’UEMOA ;
7° présentant les tableaux suivants :
a) un tableau des recettes ;
b) un tableau matriciel croisé de classifications fonctionnelle et économique ;
c) un tableau matriciel croisé de classifications administrative et fonctionnelle ;
d) un tableau matriciel croisé de classifications administrative et économique ;
e) le tableau récapitulatif des programmes par ministère.
Les députés ont-ils les moyens techniques, en particulier les nouveaux, et le temps utile pour lire, comprendre, analyser, apprécier et amender cet agrégat de documents budgétaires ? Pour ma part, la réponse ne saurait être affirmative.
En conséquence, nos préconisations s’orientent vers la solution constitutionnelle à l’effet de maintenir le cap de la rupture.
II/ Recourir à l’argument constitutionnel
Le choix a été fait de recourir à l’argument constitutionnel pour dissoudre l’Assemblée nationale, de tenir les élections législatives anticipées et, dans la foulée, d’installer la nouvelle Assemblée nationale. Ce processus explique le questionnement autour des délais d’examen du projet de loi de finances pour l’année 2025.
Il s’agit alors de rompre d’avec le statu quo parlementaire ou d’investir des solutions conformes à la Constitution qui constituent en même temps des vecteurs de rupture par rapport à la procédure expéditive d’examen des textes.
A l’analyse, le vote du projet de loi de finances mérite des circonstances atténuantes. A la limite, c’est un budget transitoire entre deux régimes, élaboré selon des procédures exceptionnelles et qui pourrait, par parallélisme des formes, être adopté sur la base de procédures exceptionnelles.
D’abord, on se le rappelle : le Débat d’orientation budgétaire n’a pas eu lieu alors que l’article 56 de la LOLF dispose expressément que « le document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle, éventuellement accompagné des documents de programmation pluriannuelle des dépenses (…) est adopté en Conseil des Ministres. Ces documents sont publics et soumis à un débat d’orientation budgétaire à l’Assemblée nationale, au plus tard à la fin du deuxième trimestre de l’année. »
Ensuite, le chaînage vertueux entre la loi de règlement de 2023 (année n-1) et la loi de finances de l’année 2024 ne s’est pas encore réalisé en conformité avec le droit budgétaire. L’article 63 de la LOLF a prévu que « le projet de loi de règlement est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale et distribué au plus tard le jour de l’ouverture de la session ordinaire de l’année suivant celle de l’exécution du budget auquel il se rapporte. Il est accompagné des documents prévus aux articles 49 et 50 de la présente loi organique. Le rapport sur l’exécution des lois de finances, la déclaration générale de conformité et, le cas échéant, l’avis de la Cour des Comptes sur la qualité des procédures comptables et des comptes ainsi que sur les rapports annuels de performance (…) sont transmis à l’Assemblée nationale sitôt leur adoption définitive par la Cour des Comptes ».
Cet impératif de « chaînage vertueux » est-il respecté pour pouvoir examiner le projet de loi de finances 2024 ? La réponse est en instance.
Enfin, le processus d’enchâssement de ce projet de budget 2025, dans la nouvelle vision d’un Sénégal souverain, juste et prospère, constitue une priorité de premier ordre.
Au vu de ces considérations, deux voies de droit se précisent pour l’examen du projet de loi de finances pour l’année 2025 devant l’Assemblée nationale.
Premièrement, les dispositions de l’article 68 alinéa 4 tendent à aboutir à une issue apaisante ; « Si, par suite d’un cas de force majeure, le Président de la République n’a pu déposer le projet de loi de finances de l’année en temps utile pour que l’Assemblée dispose, avant la fin de la session fixée, du délai prévu à l’alinéa précédent, la session est immédiatement et de plein droit prolongée jusqu’à l’adoption de la loi de finances ».
Pourtant force est de rappeler que la loi constitutionnelle n° 2008-30 du 7 août 2008 modifiant l’article 63 de la Constitution consacre la session ordinaire unique en ces termes : « L’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent de plein droit en une session ordinaire unique qui commence dans la première quinzaine du mois d’octobre et qui prend fin dans la seconde moitié du mois de juin de l’année suivante ».
Dès lors, la notion de « session budgétaire » à laquelle renvoie l’expression « fin de la session fixée » correspondant à celle de « seconde session » n’est plus de rigueur. D’ailleurs, l’histoire nous enseigne que cette notion remonte à la Première Constitution du Sénégal du 24 janvier 1959 qui disposait que « l’Assemblée tient, chaque année, deux sessions ordinaires. La première s’ouvre dans le cours du deuxième trimestre de chaque année. La seconde s’ouvre obligatoirement dans la première quinzaine du mois de novembre. Le budget est examiné au cours de la seconde session ordinaire ».
Ces précisions étant faites, il reste possible de recourir à cette disposition par la seule volonté du Gouvernement et sous le contrôle du Conseil constitutionnel portant, éventuellement, sur le sens et les conditions de « force majeure » consécutivement à l’exercice du droit de dissolution.
Deuxièmement, on se demande : que renferme l’article 86 alinéa 6 de la Constitution ? A quelle occasion la disposition est insérée dans la Constitution ? La disposition fera-t-elle partie des angles morts ou des dispositions dormantes de la Constitution ?
En vérité, la disposition dont il s’agit découle de la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 portant révision de la Constitution et se lit comme suit : « Le Premier Ministre peut, après délibération du Conseil des Ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier Ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ».
Cette disposition n’est-elle pas la réponse appropriée au caractère exceptionnel du projet de loi de finances pour l’année 2025 ? Sans prétendre y répondre, nous estimons que la question garde toute sa splendeur du point de vue de la science constitutionnelle.
La logique d’analyse se voudrait également comprendre qu’aucune condition particulière n’est posée par la Constitution. L’usage en a fait, dans la pratique française, un moyen d’éprouver sa majorité (en cas de coalition parlementaire majoritaire). Par voie de conséquence, rien ne s’opposerait à ce que cette disposition soit mise en branle dans le cadre d’un budget élaboré dans des conditions aussi exceptionnelles. Sinon, à quoi servirait cette disposition programmée en 2016 ?

Thiès, le 30 novembre 2024

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