« Aucune loi électorale ne peut empêcher Karim Wade et Khalifa Sall de se présenter aux élections présidentielles de 2024 (s’ils le souhaitent) »
Dans tout Etat démocratique, l’autorité des pouvoirs publics ne peut être fondée que sur la volonté du peuple exprimée clairement dans le cadre d’élections transparentes, sincères, libres et régulières, tenues périodiquement au suffrage universel, égal et secret. Le droit de vote et d’éligibilité est consacré par de nombreux textes régionaux en Afrique et internationaux y compris la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948. L’article 25 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, dispose que « Tout citoyen a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret et d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays «.
Les thèses développées, selon lesquelles Khalifa Sall et Karim Wade sont exclus d’office des joutes présidentielles de 2024, en vertu de dispositions du code électoral ne reposent sur aucun argument juridique valable mais plutôt sur des allégations mensongères et une stratégie d’enfumage, et de manipulation de l’opinion. En vérité les articles L.31 et L32 du Code électoral brandis par les partisans du régime et par des juristes au service de Macky Sall ne constituent aucun obstacle juridique pouvant entraver la participation de Karim Wade et Khalifa Sall aux présidentielles de 2024. Le projet de loi électoral dont les modifications ont entrainé une nouvelle numérotation pour brouiller les pistes (par exemple les articles L.30 et L.31 deviennent respectivement les articles L.29 et L.30) n’y change strictement rien : Khalifa Sall et Karim Wade sont bel et bien éligibles en 2024.
Article 23 du code pénal : la condamnation à une peine d’emprisonnement criminelle emportera la dégradation civique
Au regard des dispositions de l’article 23 du code pénal, une condamnation à une peine d’emprisonnement criminelle, emporte la dégradation civique. Les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 27 du code pénal sont claires, nettes et précises : « la dégradation civique consiste dans la privation du droit de vote, d’éligibilité et de manière générale de tous les droits civiques et politiques ». Or, il a définitivement établi que ni Khalifa Sall, ni Karim Wade n’ont été condamnés à une peine d’emprisonnement criminelle : Khalifa Sall a été condamné à 5 ans de prison ferme, pour le délit de détournement de deniers publics tandis que Karim Wade a été condamné à 6 ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende pour le délit enrichissement illicite. Khalifa Sall et Karim Wade ont été condamnés pour des délits et non pour des crimes ; en conséquence ils ne sont frappés d’aucune peine de dégradation civique, au sens des articles 23 et 27 du code pénal.
Article 34 du code pénal : seul le juge pourra interdire partiellement ou totalement l’exercice des droits civiques, civils et de famille
Au Sénégal, l’interdiction des droits civiques, et civils est strictement encadrée : seul le juge pourra prononcer une telle interdiction. L’article 34 du code pénal dispose que « Les tribunaux jugeant correctionnellement pourront, dans certains cas, interdire, en tout ou en partie, l’exercice de droits civiques, civils et de famille suivants : 1) de vote ; 2) d’éligibilité ; 3) d’être nommé aux fonctions de juré ou autre fonctions publiques, etc…… Il a été définitivement prouvé qu’aucun juge n’a prononcé une interdiction d’inscription sur une liste électorale ou une incapacité d’exercer une fonction élective pour Khalifa Sall et Karim Wade.
Article 730 du code de procédure pénale : le greffier compétent doit adresser à l’autorité chargée d’établir les listes électorales la fiche constatant une décision entrainant la privation des droits électoraux
L’article 730 du Code de Procédure pénale dispose « qu’une copie de chaque fiche constatant une décision entraînant la privation des droits électoraux est adressée par le greffier compétent à l’autorité chargée d’établir les listes électorales ». Toute privation des droits électoraux doit relever d’une décision de justice. Elle est matérialisée formellement par une fiche que le greffier transmet à l’autorité administrative. En aucun cas, Il n’appartient à l’autorité administrative d’interpréter la loi ou de se substituer au Juge pour priver un citoyen de ses droits électoraux (un acte totalement illégal).
Dans son rapport de la « Mission d’audit du Fichier électoral » du 26 février 2018, les experts de l’Union Européenne (cf page 27), la MAFE a pointé des inhérences entre le code pénal, le code de procédure pénale et le code électoral et remis clairement en cause le principe « d’une déchéance électorale perpétuelle ». Dans l’article 5.3.1 intitulé « l’effectivité des incapacités électorales » – cf page 29 du rapport, les experts de l’Union Européenne ont notamment rappelé les dispositions légales qui régissent la privation des droits électoraux, précisant que l’article 730 du Code de procédure pénale dispose qu’une « copie de chaque fiche constatant une décision entraînant la privation des droits électoraux est adressée par le greffier compétent à l’autorité chargée d’établir les listes électorales ». Or, aucun greffier n’a transmis une fiche à l’autorité administrative chargée d’établir les listes électorales pour l’informer d’une décision de justice entrainant la privation de droits électoraux de Khalifa Sall et Karim Wade. La raison est simple : il existe une décision de justice condamnant Khalifa Sall et Karim Wade, mais il n’existe aucune décision de justice prononçant la privation des droits civiques ou politiques de Khalifa Sall et Karim Wade au sens de l’article 34 du code pénal. L’autorité administrative chargée d’établir les listes électorales doit se contenter d’appliquer la loi. Or, la loi n’a jamais privé Khalifa Sall et Karim Wade de leurs droits civils ou politiques.
Aucun citoyen sénégalais remplissant les conditions requises ne peut se voir refuser le droit de vote ou de celui de s’inscrire en qualité d’électeur, si ce n’est en vertu de critères objectifs, fixés par la loi. Tout citoyen privé du droit de vote ou de s’inscrire en qualité d’électeur a le droit de faire appel d’une telle décision devant une juridiction compétente pour examiner celle-ci en vue de sa réintégration.
Article L.43 de la loi n° 2017-12 du 18 janvier 2017 portant Code électoral
« Dans les conditions fixées par décret, l’électeur qui a fait l’objet d’une radiation d’office, pour d’autres causes que le décès, ou celui dont l’inscription est contestée reçoit de la part de l’autorité administrative compétente, notification écrite de la décision de la commission administrative à sa dernière résidence connue.
Il peut, dans les cinq (05) jours qui suivent, intenter un recours devant le Président du Tribunal d’Instance.
Le recours contre les décisions de la commission administrative est porté devant le Président du Tribunal d’instance. Il est formé sur simple déclaration au greffe du tribunal d’Instance.
Dans les dix (10) jours suivant ladite déclaration, le Président statue sans frais ni forme de procédure et sur simple avertissement donné trois (03) jours à l’avance à toutes les parties intéressées ».
L’interdiction d’inscription d’un citoyen sur une liste électorale constitue une peine, et toute peine entraine l’application de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 aux termes duquel « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». En matière de peines, certaines exigences constitutionnelles s’appliquent tant au législateur qu’aux juridictions : le principe de légalité des peines, le principe de nécessité et de la proportionnalité des peines et le principe de l’individualisation des peines.
Le principe d’individualisation des peines interdit au législateur de prévoir des peines automatiques sans le juge les ait prononcés en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Non seulement l’article L.31 qui induit « la notion d’une déchéance électorale automatique et permanente » n’est pas conforme aux dispositions du code pénal, mais plus grave encore, il est totalement illégal et inconstitutionnel.
Il existe une abondante jurisprudence concernant l’interprétation stricte des inéligibilités : « toute inéligibilité, qui a pour effet de porter atteinte à la liberté des candidatures doit être interprétée restrictivement ».
Tous ceux qui affirment que les articles L. 30 et L.32 du code électoral empêchent Karim Wade et Khalifa Sall de se présenter aux présidentielles de 2024 roulent pour Macky Sall, car ils savent pertinemment que c’est totalement faux.
Karim Wade et Khalifa Sall n’ont besoin d’aucune amnistie. La question n’est pas juridique, mais purement politique.
Aucune loi électorale ne peut empêcher Karim Wade et Khalifa Sall de se présenter aux élections présidentielles de 2024 (s’ils le souhaitent).
La question est la suivante : Karim Wade et Khalifa Sall comptent ils se présenter aux présidentielles en 2024 et défendre fermement leurs droits ?
Karim Wade et Khalifa Sall doivent prendre leurs responsabilités afin de créer un rapport de force ainsi que les conditions d’une réelle confrontation politique avec Macky Sall.
Avec Macky Sall, les droits ne s’octroient pas, ils s’arrachent. Ousmane SONKO l’a parfaitement compris, lui qui échappé en mars 2021, à une gigantesque entreprise de liquidation politique.
Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr