Dans un communiqué de presse daté du 29 juillet 2022 (soit à la veille des élections législatives du 31 juillet 2022), le Ministère des Finances et du Budget a annoncé aux agents de l’Etat la bonne nouvelle de la revalorisation de leurs salaires par le Président de la République. Cette mesure, initialement limitée aux seuls agents des secteurs de l’éducation, de la santé, des forces de défense et de sécurité, a été étendue à tous les autres corps de l’administration : administrateurs civils, autres sortants de l’Ecole nationale d’Administration, magistrats, agents des hiérarchies A, B, C, D et E. Alea jacta est !
Inédite, par son caractère spontané et son ampleur (la meilleure revalorisation salariale enregistrée au Sénégal !), cette mesure peut inspirer une réflexion quant à sa pertinence même si une abondance de bienfaits ne nuit. Ainsi, dans un contexte de finances publiques tendues, lourdement impactées par les tensions géopolitiques, il y a lieu de s’interroger sur cette générosité à la fois surprenante (1) et inquiétante (2).
Une générosité surprenante
La revalorisation des salaires est assez surprenante au regard à la doctrine de gestion de la masse salariale jusqu’ici assumée par l’Etat (a). Elle s’inscrit surtout aux antipodes d’une gestion rationnelle des finances publiques (b).
Hausse des salaires dans le secteur public, à l’assaut du plafond de verre de la masse salariale
Aux lendemains de l’adoption du Plan Sénégal Emergent (février 2014), le Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan d’alors appelait les fonctionnaires à « l’une des ruptures les plus urgentes ». Sur un ton, presque moralisateur, il invite ces derniers à « s’interroger sur la légitimité du poids qu’ils font supporter à la nation toute entière par le biais de la masse salariale inscrite, année après année, à un rythme toujours plus croissant dans ce budget ». Il dramatisait à l’excès en soutenant qu’en 2014, 100.540 agents de l’Etat, constituant moins de 1% de la population sénégalaise, émargeaient à la solde et se partageaient ainsi une enveloppe de 717 milliards équivalent à 46,3% des recettes budgétaires de l’année 2014. Fatalement, il en inférait qu’ « une telle situation ne permet pas une bonne mise en œuvre du PSE qui suppose un effort d’investissements publics substantiel ». Au titre des marges budgétaires concrètes et immédiatement actionnables et réalisables dès 2015 pour financer le PSE, le Ministère identifia en premier la rationalisation des dépenses publiques, « notamment la maitrise de la masse salariale de l’Etat qui passe par la maitrise du régime indemnitaire et autres avantages assimilés».
Dans la même foulée, sur un ton plus téméraire le Président de la République a donné une fin de recevoir catégorique aux revendications pour l’application des recommandations de l’étude sur le système de rémunération et de motivation des agents que l’Etat.
A l’occasion de la cérémonie de remise des cahiers de doléances du 1er mai 2019 (au lendemain de l’élection présidentiel de 24 février 2019) en des termes peu diplomatiques, il soutenait que « l’Etat n’a pas les moyens d’augmenter les salaires dans la fonction publique » avant d’ajouter que « nous ne le ferons pas, il faut que ça soit clair. Ce n’est pas possible ».
Autres temps, autres mœurs… en cette période de gestion des finances publiques sous le prisme de la recherche de la performance.
Hausse des salaires dans le secteur public, une rationalité en question…
La mesure d’augmentation des salaires défie la rationalité d’une gestion publique cohérente et rigoureuse la recherche de la performance.
Généralement, les hausses de salaires interviennent lorsque la conjoncture est favorable avec une embellie des agrégats macroéconomiques comme l’augmentation des revenus de l’Etat découlant d’une bonne mobilisation des recettes ; la croissance économique soutenue sur une longue période ; une inflation maitrisée ; maitrise des dépenses de fonctionnement (maitrise du train de vie de l’Etat) suites à des efforts drastiques.
Or, depuis la survenance de la pandémie de la COVID 19 exacerbée par tensions découlant de la crise diplomatique entre l’Ukraine et la Russie, les indicateurs macroéconomiques se sont fortement dégradés.
Le cycle de croissance, d’une robustesse jamais connue depuis l’indépendance, s’est estompé pour s’établir en 2020 à 1,5%. Le déficit budgétaire est passé à 6,23% du PIB (1 055,1 milliards FCFA) alors qu’il est plafonné à 3% par les critères de convergence de l’UEMOA. La dette publique rapportée au PIB est de 69,9% atteignant presque le plafond communautaire fixé à 70%. Les recettes fiscales ont connu une mobilisation déficiente en raison des mesures de suspension et d’annulation de taxes intérieures et douanières pour contenir l’inflation mondiale sur les matières premières, notamment les produits alimentaires.
Dans cette morosité qui devrait conduire à un gel des augmentations de salaires pour préserver les finances publiques, la générosité de l’Etat peut s’avérer inquiétante.
Une générosité inquiétante
La générosité débonnaire de l’Etat devrait inquiéter les agents de l’Etat en premier lieu. Dans la LFR, le coût budgétaire des mesures de revalorisation salariale en faveur des personnels des secteurs de l’éducation, de la santé et des forces de défense et de sécurité est évalué à 100 milliards de FCFA.
Son financement par l’impôt risque de déboucher sur une inflation et conséquemment un renchérissement du coût de la vie (a) produisant subséquemment de vives tensions sociales (b).
Hausse des salaires dans le secteur public, l’effet boomerang attendu…
L’augmentation des salaires dans le public risque de conduire à une hausse des impôts pour financer ces dépenses puisque le levier de l’endettement (69,9%) qui ne devrait pas être utilisé à cette fin est quasiment bouché avec l’atteinte de la limite communautaire de 70%.
Le gouvernement a déjà annoncé la couleur puisque dans la LFR 2022 en procédant à l’augmentation du taux de l’impôt sur le revenu pour les hauts revenus. En effet, il a été rajouté une tranche supplémentaire au barème progressif de l’impôt sur le revenu de même que le bouclier fiscal a été relevé. Désormais, les titulaires de revenus annuels supérieurs à 50 millions FCFA sont soumis à une taxation qui peut atteindre 43% de leurs revenus. Dans le même sillage, l’Etat a validé la taxation plus dissuasive des plus-values résultant de la cession de terrains nus ou insuffisamment bâtis et ce, sans considération de la nature juridique du bien immobilier.
Entre 2012 et 2022, le budget de l’Etat du Sénégal a quasiment doublé (passant de 2 344,8 milliards FCFA à 5000 milliards FCFA). Cette hausse du budget a été principalement financée par des augmentations d’impôts se résumant à l’institution de nouvelles taxes indirectes et/ou à relèvement des taux et assiettes des taxes existantes. Ce sont quasiment des taxes supportées par les citoyens-consommateurs (taxes indirectes sur les biens et services de consommation usuelle).
Au titre de la décennie de gouvernance du régime actuel, six (6) nouvelles taxes ont été instituées pour financer les dépenses de l’Etat : deux taxes sur le ciment ; la taxe de sortie sur les volumes d’arachides exportées ; la taxe sur l’utilisation des sachets en plastique ; la taxe sur les corps gras alimentaires et la taxe spécifique sur les produits textiles.
Au titre de la même période, l’assiette, les taux ou tarifs d’une dizaine d’impôts et taxes ont été modifiés à la hausse : extension du périmètre de la taxe sur les véhicules de tourisme à tous les véhicules ; extension de la taxe sur les boissons gazeuses non alcoolisées aux jus de fruits et relèvement de son taux ; rehaussement des tarifs de la taxe sur les armes à feu et du droit de timbre sur les permis de port d’arme ; relèvement du taux de la taxe sur les tabacs ; relèvement du taux taxe sur les produits cosmétiques ; hausse du taux de taxation des plus-values réalisées ; extension aux sociétés de la taxe de plus-values sur les cessions d’immeubles et de droits réels immobiliers figurant au Bilan.
C’est donc dire que le financement de la nouvelle hausse des salaires dans le secteur public ne saura échapper à la logique du tout fiscal du régime actuel.
Hausse des salaires dans le secteur public, le ver est dans le fruit…
La mesure de revalorisation salariale en faveur de tous les agents de l’Etat va assurément raviver les revendications pour une correction des disparités salariales notées dans le rapport de l’étude sur le système de rémunération des fonctionnaires et autres agents de l’Etat.
L’extension de cette mesure à tous les corps de fonctionnaires sera perçue par les syndicalistes comme une nouvelle indemnité bénéficiant à des catégories considérées déjà comme les privilégiés du système. En ce sens, la hausse des salaires du public donnera du grain à moudre aux organisations syndicales jusqu’ici à la recherche d’un angle d’attaque pour ressusciter leurs vieilles doléances.
Certes, l’abondance de bien ne nuit pas, mais une générosité déraisonnable peut conduire à la ruine… Une meilleure mobilisation des recettes fiscales par une taxation adéquate des niches fiscales, une véritable rationalisation des exonérations, une réorientation des dépenses publiques auraient permis d’éviter de creuser le déficit et de diminuer le coup de la vie pour tous les citoyens.
Elimane POUYE
Citoyen
pouyeelimane@yahoo.fr
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