EDITO – Après s’en être pris aux immigrés, aux Juifs, le candidat d’extrême droite à la présidentielle dénonce la politique d’inclusion des enfants handicapés à l’école. Une nouvelle transgression au-delà de toute décence.
En politique, il faut compter avec la force des idées et, souvent, avec l’âpreté ou même la violence (intellectuelle, verbale) des affrontements idéologiques. C’est ainsi, cela fait partie du « jeu ». Mais afin que le système démocratique ne dérape pas à l’excès, les anglo-saxons ont érigé le concept de « common decency », la décence élémentaire, la décence de base, cette décence qui, au delà des clivages et des oppositions les plus radicales, permet de vivre en société. De cette décence, Éric Zemmour est dépourvu. Il vient de le montrer une nouvelle fois en s’en prenant avec sa coutumière brutalité aux enfants handicapés. Ce n’est pas la première « sortie » où il fait preuve à ce point d’insensibilité, d’inhumanité. Mais pour le coup, ça ne passe pas, ça ne s’évapore pas à coup de tweets sur les réseaux sociaux. « Faux procès », clame le candidat raciste, « mots détournés », insiste-t-il . Ses explications a posteriori ne lui servent à rien car cette sortie sur les enfants handicapés a provoqué émotion, chagrin, et colère dans les tréfonds de la société française.
Même Marine Le Pen juge ces propos impardonnables
Tout est parti d’une énième dénonciation paranoïaque et idéologique de l’école publique. « L’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faites aux enfants [comprenons en pleine santé] et à ces enfants-là [comprenons handicapés], les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants. Je pense qu’il faut des enseignants [et donc des institutions] spécialisés qui s’en occupent. » Zemmour ne s’attendait sans doute pas à ce que, en quelques instants, s’exprime l’indignation et que puisse apparaître une blessure commune. « Une déclaration pitoyable, une vision misérabiliste et excluante, relevait aussitôt Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, elle-même mère d’un enfant handicapé. C’est vraiment l’honneur de la France de pouvoir scolariser ces enfants avec les autres, au milieu des autres. » Marine Le Pen estimait « impardonnable de s’attaquer aux enfants fragilisés par un handicap ». Impardonnable, le mot est juste, si juste -et Éric Zemmour qui parvient, une fois encore, à adoucir, à recentrer, l’image de la cheffe du rassemblement national…
Toute la classe politique dénonce cette stigmatisation
Le candidat communiste Fabien Roussel, lui, était « révulsé » autant par la déclaration de Zemmour que par « la société d’apartheid » qu’elle laisse entrevoir. « Écœuré », Jean-Luc Mélenchon constatait qu’une fois encore, le candidat à la droite de l’extrême-droite « fait du mal ». Valérie Pécresse ne pouvait pas, elle non plus, rester longtemps silencieuse. « Scandalisée par la brutalité d’Éric Zemmour », elle promettait à l’inverse, si elle est élue cheffe de l’Etat, « plus d’inclusion pour les enfants fragiles ». Et comment ne pas souligner la force des propos du député Damien Abad, président du groupe parlementaire LR à l’Assemblée nationale, lui-même handicapé: « je ressens de la colère, de l’amertume, une profonde humiliation. Ces propos sont très graves, il s’agit d’un véritable appel à l’apartheid des handicapés, un projet d’isolement et de rupture des personnes en situation d’handicap. C’est une régression inadmissible. Mes parents se sont battus pour me scolariser en milieu ordinaire. Je demande des excuses publiques ». Ils ne les obtiendra pas. Car la souffrance des hommes et des femmes de chair indiffère Éric Zemmour.
Ses précédentes saillies illustraient déjà sa radicalisation
C’est en cela qu’il a abandonné les fondements de l’humanisme politique pour se rattacher aux courants des ultra droites nationalistes, racistes, antisémites, anti-démocratiques et anti-républicaines. Les quelques lignes proprement monstrueuses qu’il avait consacré à la famille Sandler, abattue à Toulouse par le terroriste islamiste Mohamed Merah, auraient dû suffire pour comprendre cette radicalisation. Après le massacre de son fils et de ses deux petits enfants, Samuel Sandler, juif pieux, avait choisi de les enterrer à Jérusalem. Voilà ce qu’en dit Zemmour: « ils voulaient bien vivre en France, faire de la garbure [une soupe du sud-ouest et les Sandler habitaient Toulouse, quelle finesse.…] ou autre chose [Zemmour songe-t-il à « faire de l’argent », on pourrait l’entendre ainsi], mais pour ce qui est de laisser leurs os, ils ne choisissent surtout pas la France. Étrangers avant tout et voulant le rester par delà la mort. » Une nouvelle ode à ce « nationalisme intégral » auquel Zemmour désormais se réfère. Mais ce sont d’abord les propos d’un salaud en politique. L’exacte définition du salaud en politique. Les saillies sur les enfants handicapés ne font que le confirmer. Et nous n’insisterons sur ses « dérives » à répétition quand au sort des juifs en France sous l’occupation.
Des transgressions qui plaisent à de potentiels électeurs
Selon l’ensemble des études d’opinion, et ce sans aucune exception, Éric Zemmour ne sera pas en mesure de se qualifier en finale de l’élection présidentielle. Les mêmes instituts de sondage ne le créditent pas moins de 13 à 15% des intentions de vote au premier tour- ce qui reste considérable. Ces Français-là, qui s’apprêtent à glisser son nom dans une urne, ne s’interrogent pas sur cette violence, de cet anti-humanisme assumé et précédemment évoqué. Ils n’en sont pas perturbés, en rien. C’est au contraire ce qui leur plaît en Zemmour, ces transgressions avilissantes. Il y a fort longtemps déjà, Bernard Tapie avait été unanimement rabroué, en particulier dans les médias, parce que, d’une formule lapidaire, il avait estimé que les électeurs de Jean-Marie le Pen étaient des « salauds » (en politique). À sa manière robotisée et impitoyable, Éric Zemmour l’est lui aussi. Va-t-on bientôt s’interroger sur le compte de ses potentiels électeurs?
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